C’est une drôle de rencontre il y a deux ans sur Facebook. Entre deux êtres, « inaptes à l’amour durable et partagé », et qui vont se renifler, s’accepter, conclure un « pacte de partenariat ». Elle c’est Chloé Delaume, elle est écrivain, personnalité radicale, « crevarde bipolaire et ex-pute » comme elle l’écrit elle-même. Lui, c’est Daniel Schneidermann, le célèbre spécialiste de la critique des médias, créateur à la télé puis sur internet d’« Arrêt sur images ». À 53 ans, il traîne derrière lui « une carrière amoureuse qui ne ressemble plus à rien, deux mariages et un Pacs, […] et pour finir un champ de ruines."
Chloé Delaume et Daniel Schneidermann |
Elle est peut-être l’écrivain qu’il rêvait d’être. Lui
est peut-être l’homme (l’épaule) contre lequel elle rêvait de s’appuyer. À
quatre mains, ils décident d’écrire un livre dont le point de départ est un drame
familial : Chloé avait dix ans quand son père a tué sa mère et retourné
l’arme contre lui. Ce père était libanais, et son
frère – l’oncle de Chloé Delaume – est Georges Ibrahim Abdallah, prisonnier
politique en France, et qui fut un temps l’ennemi public n°1, accusé notamment
d’attentats au cœur de Paris dans les années 80. Ironie du sort : Daniel
Schneidermann couvrait alors ces événements pour le journal Le Monde.
Chloé/Daniel. Deux trajectoires qui se rejoignent avec,
au-delà de leur histoire d’amour, ce désir d’écrire ensemble ce roman-enquête
pour remonter à la source de la violence dans la famille de Chloé Delaume, le
Liban, où elle n’a plus mis les pieds depuis 30 ans. Avec lui, elle se dit qu’il
est possible de se confronter à son passé. Lui est amoureux de Chloé, alors il veut
bien l’accompagner dans cette aventure, et un journaliste de son espèce
frétille à l’idée de se rendre dans l’œil du cyclone du Proche-Orient. Ce sera
leur été 2012, à Kobayat, tout près de la frontière syrienne.
Mais, dans leur livre - original, singulier, d’une
sincérité presque désarmante -, avant d’arriver à la partie du Liban, il faut
passer de nombreux chapitres pas si secondaires que ça. Nos deux tourtereaux
veulent éclairer les enjeux du voyage. Pour connaître les deux personnages. Par
exemple, l’adolescence de Chloé (après le décès de ses parents elle fut
recueillie par un oncle et une tante racistes). Et d’aborder la question de
toutes les violences, physique certes, mais surtout morale : en quoi les
mensonges ou la domination détruisent des vies.
Au Liban, enfin, nous découvrons une famille, une vraie
famille, une famille (étonnamment ?) sympa. « Des vivants, des
fantômes, des os devenus du verre. […] Un clan c’est des valeurs autour d’un
patronyme. Quelques membres sont manquants, cautériser les gouffres est parfois
compliqué. » Chloé, elle, éparpillée par la tragédie de son enfance, n’a jamais
voulu enfanter. Et là, elle se retrouve face aux chaînons présents de son
histoire. Ceux qui ont dit : oui, malgré les guerres, malgré les plaies,
on continue, on conçoit une nouvelle génération. C’est un peu « Alice
au pays des merveilles » au royaume de la déglingue. On peut aussi se reconstruire
ainsi.
LIRE « Où
le sang nous appelle », Chloé Delaume, Daniel Schneidermann, éditions du
Seuil, 370 p., 21 €.
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