« L’humanité est dans le pétrin. » Ce n’est pas
moi qui le dit, mais Carlo Maria Cipolla. C’est même la première phrase de ses
« Lois fondamentales de la stupidité humaine », rééditées aujourd’hui
avec de fabuleuses illustrations de Claude Ponti. Mais un mot d’abord sur
l’aventure de ce livre-culte. En 1976, Carlo M. Cipolla, un célèbre historien
italien qui enseigne alors à Berkeley, en Californie, décide, pour s’amuser,
d’écrire ce petit opuscule, et de l’offrir à ses amis. On se le prête, le
bouche-à-oreille fait (lentement) son chemin. En 1988, Cipolla accepte enfin
que le livret soit traduit en italien. Puis bientôt dans le monde entier, avec
un énorme succès. La France le découvre en 2012, avant cette nouvelle édition
illustrée par Claude Ponti, orchestration en quatorze dessins des figures du
crétin, à la fois drôles et pathétiques.
Car ces lois, pour universelles qu’elles soient,
appartiennent évidemment au genre « pseudo-scientifique ». Une dose
de bon sens, une dose de rhétorique emberlificotée, et un bon éclat de rire à
chaque page. Un guide « visant à détecter, à connaître et peut-être à
neutraliser l’une des plus puissantes forces obscures qui entravent le
bien-être et le bonheur de l’humanité » : les gens stupides. En cinq
lois fondamentales et quelques intermèdes techniques, Cipolla va nous expliquer
que « l’humanité se divise en quatre catégories : les crétins, les
gens intelligents, les bandits et les être stupides », tout en démontrant
la puissance de la stupidité et donc notre
incapacité à lutter. Jubilatoire mais désespérant.
« Mademoiselle », l’héroïne du « Triangle
d’hiver », le nouveau roman de Julia Deck est-elle stupide ? Parfois,
oui (et donc dangereuse). Parfois, non. Parfois elle se révèle stratège,
manipulatrice, enjôleuse… ou, plus prosaïquement, Marie-couche-toi-là pour
obtenir sur le champ ce dont elle a envie (et donc dangereuse aussi). Les
contraintes de l’existence l’épuisent : travailler, gagner sa croûte,
patienter, construire. Elle voudrait larguer les amarres, comme ces paquebots
qu’elle observe depuis son appartement au Havre.
On la retrouve à Saint-Nazaire, car on ne peut rester
longtemps dans la même ville quand on vit de menues escroqueries. Là, elle
rencontre un ingénieur, l’Inspecteur (qui inspecte les navires avant leur mise
à l’eau). Elle lui dit s’appeler Bérénice Beaurivage (en fait, le nom du
personnage d’Arielle Dombasle dans le film « Pauline à la plage »
d’Éric Rohmer), s’autoproclame écrivain. L’Inspecteur a beau être calé en
bateaux, il est truffe en amour et en littérature, il gobe tout. C’est sans
compte sur Blandine Lenoir, une journaliste également éprise de l’ingénieur, et
qui voit clair dans le jeu opaque de sa rivale. Triangle amoureux, triangle
pervers, où chacun à son tour est le dupe de l’autre, on danse en rond, Julia
Deck mène le bal, en virtuose des sentiments égarés. Car Mademoiselle, pour
cynique et acrobate qu’elle soit, est d’abord une enfant perdue. Un personnage qu’on
n’est pas prêt d’oublier.
LIRE « Les
lois fondamentales de la stupidité humaine », Carlo M. Cipolla, illustré
par Claude Ponti, Puf éditions, 96 p., 16 €.
« Le triangle d’hiver », Julia Deck, éditions
de Minuit, 176 p., 14 €.
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