Le grand public l’a découvert avec « Les Allumettes
suédoises », le premier des huit volumes de la saga d’Olivier, un immense
succès. Des millions d’exemplaires vendus à travers le monde. Robert Sabatier,
lui, aurait préféré être reconnu pour sa poésie. Il était membre de l’Académie
Goncourt, éditeur, critique littéraire. On découvre dans ses Mémoires, joliment
et tristement intitulées « Je vous quitte en vous embrassant bien
fort », qu’il a également été typographe, maçon, jardinier, boxeur,
comptable, décorateur.
Dans ses moments de solitude, Robert Sabatier, disparu en
juin 2012, jetait un regard en arrière : « enfance orpheline,
adolescence chagrine, la douleur de ce premier mariage détruit, la séparation
d’une partie de ma chair, les années de travail ingrat, puis cet effarant,
presque scandaleux succès. » Abrité derrière son éternelle pipe, il cachait en
effet de profondes douleurs. Il avait démarré son existence tout en bas de
l’échelle, dans des conditions dramatiques avec la mort de ses parents,
disparus chacun un 1
er mai, à quatre ans d’intervalle. À l’âge de
douze ans, le gamin de Montmartre avait découvert un matin sa maman foudroyée
par une crise cardiaque alors qu’il avait dormi à ses côtés.
Il est alors recueilli par son oncle, et mis au travail
dans l’atelier de typographie de ce dernier. Dès 1939, il imprime lui-même ses
poèmes sur des chutes de papier… Bientôt, les poèmes sont remplacés par des
tracts contre l'occupant. Le jeune Robert va bientôt s'intégrer à un maquis
local en Auvergne, là où habitent ses grands-parents. À la fin de la guerre,
c'est la démobilisation et une nouvelle existence marquée par un mariage raté
avec la fille d'un industriel de Roanne.
Retour à Paris en 1950. Le jeune homme se partage entre
un job aux Presses Universitaires de France, et les cercles poétiques de la
Rive gauche. Il apprend à écrire, à bannir les clichés. Ses amis lui
conseillent de se lancer dans le roman, alors que, à ses yeux, la grande
affaire de sa vie est la poésie. Puis un
jour, il rentre chez lui avec une jeune fille qui refuse ses avances, mais se
jette sur ses cahiers pour les lire. La jeune fille se nomme Christiane
Lesparre, et ils vivront ensemble pendant cinquante-deux ans, jusqu’à la mort
de la romancière qu’elle était aussi. Il ne l’appelait pas sa femme, « car
le possessif nous gêne ». Et si on la présentait comme Madame Robert
Sabatier, elle répondait sèchement : « J’ai un prénom, les chiens en
ont bien un ! » Bref, un sacré tempérament, versatile, souvent
insupportable, imperméable au succès de son mari, persuadée même que sa
notoriété était « une usurpation ». Quand Robert est élu à l’Académie
Goncourt, elle lui envoie : « Et voilà que tu vas juger les autres…
tu as tout trahi : moi, toi, ton idéal de jeunesse… ». Et pourtant,
malgré les crises, elle demeurera « sa compagne de toujours », il
écrit même : « Je suis bien avec elle, je ne vis que pour
elle. » Ensemble, d’ailleurs, ils le resteront même dans la mort,
puisqu’ils sont enterrés l’un près de l’autre au cimetière Montparnasse, en
face d’Albin Michel, l’éditeur de toujours de Robert Sabatier.
LIRE « Je
vous quitte en vous embrassant bien fort », Robert Sabatier, éditions
Albin Michel, 656 p., 29 €.
Robert Sabatier en quelques dates
17 août 1923 : naissance à Paris, à Montmartre.
1936 : employé dans l’atelier de typographie de son
oncle et tuteur, après la mort de ses parents.
1943 : rejoint le maquis.
1953 : premier roman, « Alain et le nègre ».
1965 : directeur littéraire des éditions Albin
Michel.
1969 : Grand prix de poésie de l’Académie française
pour l’ensemble de son œuvre.
1970 : « Les Allumettes suédoises », premier
tome de la saga d’Olivier.
1972 : élection à l'Académie Goncourt.
1988 : fin de son « Histoire de la poésie
française » avec le 9ème volume.
1995 : « Les Allumettes suédoises », une
trilogie télévisée composée des épisodes « David et Olivier », « Trois
Sucettes à la menthe » et « Les Noisettes sauvages », réalisée
par Jacques Ertaud.
2007 : « Les Trompettes guerrières »,
huitième et dernier tome des aventures d’Olivier.
28 juin 2012 : mort à Paris