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vendredi 24 mai 2013

Insupportables mais indispensables



Ça gratte, ça pique, ça chatouille et ça gratouille, ça ne laisse pas indifférent. Ça amuse, ça détend, ça agace, ça énerve, ça fait qu’on a envie (plein de fois) d’arrêter de lire, ou de jeter carrément le livre au rebut, et ça fait qu’on en reprend invariablement la lecture. On ne s’en détache pas, c’est une addiction. Ce serait un peu comme de se jeter dans un carré d’orties : franchement insupportable mais si délicieusement transgressif.
André Blanchard
Ils sont deux hirsutes à nous confier leurs états d’âme, et ils sont voisins. Presque « pays ». André Blanchard, de Vesoul, nous donne avec « À la demande générale » un nouveau volume de ses carnets, cette fois-ci pour les années 2009 à 2011. Pierre Pelot, de sa tanière des Vosges, sous offre un « Petit éloge des saisons ». Le premier enracine davantage ses considérations dans ses lectures, le second dans les forêts qui l’entourent. Leur point commun ? Ils aiment leur terre et se désolent de ce qu’elle devient. Alors, oui, ça râle, et pas qu’un peu. Blanchard habille Le Clézio, Pierre Michon, les auteurs d’autofiction pour plusieurs hivers. Pelot n’aime pas, mais alors pas du tout, les chasseurs. Alors, oui, dans le genre, ils n’hésitent pas à passer pour de « vieux cons » et, comme les vieux cons d’Audiard, on les reconnaît à ce qu’ils osent tout. Mais, contrairement à ceux d’Audiard, ces deux cons-là, misanthropes par dépit, en appellent à la pensée, au savoir, à la beauté, à la dignité. Les lecteurs d’André Blanchard le lui écrivent : « Qu’est-ce qu’on retire de mes Carnets ? En gros, des ondes bénéfiques ! Je serais une manière de roc, je donnerais de l’énergie, voire carrément la pêche. » Ajoutant, surpris et heureux : « que nos phrases aient plus de santé que nous. »
Pierre Pelot
Voilà donc deux livres aussi râpeux qu’indispensables : du poil à gratter qui réveille. Blanchard toujours : « Vivre, c’est ne pas couper à cette alternative : ou le regret d’accomplir telle chose, ou le regret de ne pas l’accomplir. L’entre-deux, c’est pour dormir. » Ou lire chez Pierre Pelot le merveilleux éloge des taupes et des pissenlits. C’est pages 41 à 44. Le monde est un livre ouvert, de quoi « donner le vertige », ce sera son plaidoyer un peu plus loin : « Nous sommes environnés, noyés d’histoires, c’est le tournoyant paysage de notre quotidien. Sans cesse. Et nous au centre de tout ça, à tenter tant bien que mal de ne pas perdre l’équilibre. Embarbouillés par l’étourdissement au centre de ces tournoiements d’histoires qui finissent immanquablement comme finissent les feuilles d’automne, jaunies, flétries, déboussolées, aussi mortes que leur nom l’indique. »
Deux hymnes à la vie, donc, et à la vigilance. Car - et le rappel est utile en ces temps de montée des populismes - les histoires, menées par les hommes aux « slogans simplets », finissent souvent mal, naïfs que nous sommes à nous nourrir d’espérance, et donc à nous jeter dans les bras de « religions et idéologies. »
LIRE « À la demande générale », André Blanchard, éditions Le Dilettante, 256 p., 18 €.
« Petit éloge des saisons », Pierre Pelot, François Bourin éditeur, 168 p., 14 €.

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