Nous sommes au mois d’août 1733, Giacomo Casanova a huit
ans et quatre mois. Le pauvre enfant ne cessant de saigner du nez, sa
grand-mère l’emmène pour le guérir chez une sorcière. Après lui avoir infligé
tout un fatras de remèdes, celle-ci lui annonce qu’il aura, la nuit suivante,
la visite d’une « charmante dame ». Et le miracle s’accomplit :
« j’ai vu, ou cru voir, descendre de la cheminée une femme
éblouissante. »
C’est le premier souvenir de Casanova. Avant, rien. Cette
anecdote, après une préface d’une vingtaine de pages, ouvre son incroyable
« Histoire de ma vie », des milliers de pages autobiographiques qui
racontent le destin du plus grand séducteur du monde. Ce manuscrit hors normes
a été acquis en 2010 par la Bibliothèque nationale de France pour 7 millions
d’euros. Les spécialistes l’ont étudié, et voici que paraissent simultanément
deux versions du premier volume (qui contiennent les trois premiers tomes de
cette « Histoire », sur un total de 12 !), l’une dans la
prestigieuse collection La Pléiade, l’autre dans la collection Bouquins (qui a
l’avantage de faire apparaître les notes explicatives directement en bas de
page, et non à la fin de l’ouvrage).
Le regretté Heath Ledger dans le rôle de "Casanova" |
Quand Casanova entame la rédaction de ces mémoires, en
1786, il vit à Dux, en Bohême, sous la protection du comte de Waldstein. Ce
château sera son dernier refuge, jusqu’à sa mort en 1798, à l’âge de 65 ans. Tout
au long du texte, on retrouve évidemment les innombrables conquêtes, le désir
perpétuel, et sa gourmandise aussi (voir l’extrait ci-dessous). Les scènes sont
coquines, libertines, érotiques, depuis son premier amour, déjà fort
tumultueux, pour Bettina, à l’âge de dix ans. Et quelle existence agitée :
qu’on en juge durant la seule année 1743. Casanova a dix-huit ans. En quelques
mois, il a une aventure avec une fermière, en pince pour une danseuse, est
expulsé du séminaire accusé de relations intimes avec un pensionnaire, perd de
vue Lucie, l’un de ses amours, attrape ses deux premières maladies vénériennes,
couche avec une esclave grecque. C’est un résumé.
Comme l’écrit Gérard Lahouati dans l’édition de La
Pléiade : le récit de Casanova « mêle rires et larmes, aventures et
philosophie, sexe et théologie, romanesque éblouissant et prosaïsme
physiologique, sentimentalité et cynisme, charlatanisme et rationalisme,
blasphèmes vigoureux et crédos singuliers ». Cette « Histoire de ma
vie », jubilatoire, souvent mélancolique, est une extraordinaire peinture
d’une époque où tous les bas-instincts semblent avoir eu rendez-vous, alors
même que l’Esprit des Lumières se levait. Et c’est le portrait d’un homme qui aura
(désespérément ?) cherché à être aimé. Délaissé par ses parents comédiens
durant les trois premières années de sa vie (ils jouaient au théâtre en
Angleterre, il fut alors élevé par sa grand-mère), il ne se sera jamais
vraiment remis de cet abandon précoce.
LIRE
« Histoire de ma vie, tome 1 », Casanova, soit aux éditions Robert
Laffont (collection Bouquins, sous la direction de Jean-Christophe Igalens et Érik
Leborgne, 1664 p., 32 €) ou aux éditions Gallimard (collection La Pléiade, sous
la direction de Gérard Lahouati et Marie-Françoise Luna, 1376 p., 58 €).
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