Le premier, Jean-Paul, Kauffmann, a décidé de remonter la
Marne, depuis sa confluence avec la Seine jusqu’à sa source, 525 kilomètres
plus loin, sur le plateau de Langres. Histoire de témoigner de la richesse
d’une rivière injustement déconsidérée. « Par devoir de mémoire et goût de
l’aventure », le second, le suisse Daniel de Roulet, participe à un relais
entre Belfast, Irlande du Nord, et Saint-Gall, en Suisse, pour commémorer le
mille quatre centième anniversaire de la fondation par Gall, moine irlandais,
en l’an 612 de l’abbaye qui porte son nom. À lui, la portion entre Saint-Malo
et Soissons.
À pied et seul, donc, dans les deux cas. Jean-Paul
Kauffmann optant pour des étapes courtes (une dizaine de kilomètres par jour),
un paquetage imposant (trente kilos) et sans savoir à l’avance où il mangera et
dormira. Daniel de Roulet choisissant au contraire un sac à dos ultraléger (3
kilos), des marches plus longues (entre 20 et 40 kilomètres) et en ayant, quand
faire se peut, réservé son gîte et son couvert pour le soir.
Jean-Paul Kauffmann |
Même si l’un (Kauffmann) fait preuve de davantage
d’érudition et l’autre (De Roulet) est davantage rivé aux sensations, leurs
récits se rencontrent sur bien des points. Cette marche représente d’abord un
défi pour deux hommes qui ont le même âge (68 ans) et qui, d’une certaine
manière, se posent la question du vieillissement de leur corps. Il y a là comme
un pied-de-nez lancé à l’avancée du temps. Jean-Paul Kauffmann n’a pas choisi
de remonter la Marne par hasard : « je me demande si cette idée d’aller
à contre-courant ne traduit pas le désir inconscient de revenir en arrière, au
début. » Daniel de Roulet s’amuse, avec « son corps desséché de
vieillard », maigreur d’adolescent et casquette à grande visière,
d’entendre un groupe de cyclistes avertir : « Attention au gamin sur
la route. »
Daniel de Roulet |
C’est aussi l’occasion, pour les deux auteurs, de
confronter le passé et le présent des paysages, des lieux et des hommes qu’ils découvrent.
La lenteur du cheminement rend ces instants aussi fragiles que miraculeux. Ainsi
de cette scène surréaliste et émouvante où Jean-Paul Kauffmann croise un
étudiant en dynamique fluviale, un asiatique qui parle à peine quelques mots de
français, et guère plus d’anglais. Le dialogue est difficile, et pourtant le
jeune homme sort… une bouteille de champagne de son sac, et les deux hommes
trinquent. « La rencontre a duré moins d’une demi-heure. C’est fini, je ne
le reverrai plus. » Et cela lui rappelle d’un autre moment, historique,
quand Napoléon quitte le château de la Malmaison après la défaite de Waterloo,
Napoléon qui « sait qu’il ne reverra plus ce château. »
Enfin, les deux écrivains se sont attachés à rendre
compte de ce qui demeure intact dans cette France profonde. Ils traversent des
villages qu’on dirait endormis, « démeublés » comme l’écrit Jean-Paul
Kauffmann quand Daniel de Roulet y voit, cruel et triste, les stigmates d’une
« gloire passée ». Ils s’étonnent, rêvent, s’ennuient, sourient,
s’agacent. « On occupe la rêverie comme on peut. »
LIRE
« Remonter la Marne », Jean-Paul Kauffmann, éd. Fayard, 264 p., 19,50
€.
« Légèrement seul », Daniel de Roulet, éd.
Phébus, 160 p., 12 €.
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