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vendredi 3 mai 2013

C’est comment la France parcourue à pied ?



Le premier, Jean-Paul, Kauffmann, a décidé de remonter la Marne, depuis sa confluence avec la Seine jusqu’à sa source, 525 kilomètres plus loin, sur le plateau de Langres. Histoire de témoigner de la richesse d’une rivière injustement déconsidérée. « Par devoir de mémoire et goût de l’aventure », le second, le suisse Daniel de Roulet, participe à un relais entre Belfast, Irlande du Nord, et Saint-Gall, en Suisse, pour commémorer le mille quatre centième anniversaire de la fondation par Gall, moine irlandais, en l’an 612 de l’abbaye qui porte son nom. À lui, la portion entre Saint-Malo et Soissons.
À pied et seul, donc, dans les deux cas. Jean-Paul Kauffmann optant pour des étapes courtes (une dizaine de kilomètres par jour), un paquetage imposant (trente kilos) et sans savoir à l’avance où il mangera et dormira. Daniel de Roulet choisissant au contraire un sac à dos ultraléger (3 kilos), des marches plus longues (entre 20 et 40 kilomètres) et en ayant, quand faire se peut, réservé son gîte et son couvert pour le soir.
Jean-Paul Kauffmann
Même si l’un (Kauffmann) fait preuve de davantage d’érudition et l’autre (De Roulet) est davantage rivé aux sensations, leurs récits se rencontrent sur bien des points. Cette marche représente d’abord un défi pour deux hommes qui ont le même âge (68 ans) et qui, d’une certaine manière, se posent la question du vieillissement de leur corps. Il y a là comme un pied-de-nez lancé à l’avancée du temps. Jean-Paul Kauffmann n’a pas choisi de remonter la Marne par hasard : « je me demande si cette idée d’aller à contre-courant ne traduit pas le désir inconscient de revenir en arrière, au début. » Daniel de Roulet s’amuse, avec « son corps desséché de vieillard », maigreur d’adolescent et casquette à grande visière, d’entendre un groupe de cyclistes avertir : « Attention au gamin sur la route. »
Daniel de Roulet
C’est aussi l’occasion, pour les deux auteurs, de confronter le passé et le présent des paysages, des lieux et des hommes qu’ils découvrent. La lenteur du cheminement rend ces instants aussi fragiles que miraculeux. Ainsi de cette scène surréaliste et émouvante où Jean-Paul Kauffmann croise un étudiant en dynamique fluviale, un asiatique qui parle à peine quelques mots de français, et guère plus d’anglais. Le dialogue est difficile, et pourtant le jeune homme sort… une bouteille de champagne de son sac, et les deux hommes trinquent. « La rencontre a duré moins d’une demi-heure. C’est fini, je ne le reverrai plus. » Et cela lui rappelle d’un autre moment, historique, quand Napoléon quitte le château de la Malmaison après la défaite de Waterloo, Napoléon qui « sait qu’il ne reverra plus ce château. »
Enfin, les deux écrivains se sont attachés à rendre compte de ce qui demeure intact dans cette France profonde. Ils traversent des villages qu’on dirait endormis, « démeublés » comme l’écrit Jean-Paul Kauffmann quand Daniel de Roulet y voit, cruel et triste, les stigmates d’une « gloire passée ». Ils s’étonnent, rêvent, s’ennuient, sourient, s’agacent. « On occupe la rêverie comme on peut. »
LIRE « Remonter la Marne », Jean-Paul Kauffmann, éd. Fayard, 264 p., 19,50 €.
« Légèrement seul », Daniel de Roulet, éd. Phébus, 160 p., 12 €.


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