154.
Dans chacun des 154 sonnets de William Shakespeare, il y a, « le plus
souvent masquée par la sagesse d’un sourire, une pépite d’émotion. » Ça,
c’est le poète et traducteur expert de l’anglais Jacques Darras qui le dit. Il
vient de s’attaquer à ce chef-d’œuvre de la littérature. Et sa traduction est
épatante, à la fois tout en passion et en retenue. Ce n’est pas de la poésie
qu’on lit, c’est de la musique – lyrique, audacieuse – qu’on entend.
William Shakespeare |
Ces
sonnets, tous de la même forme (trois quatrains couronnés de deux rimes en
retrait – la « chute » du poème en quelque sorte), célèbrent certes
l’amour, le désir d’enfant (et la nécessité d’en faire), le beau, la brièveté
de la vie… mais ils continuent de fasciner par le mystère qu’ils recèlent.
« Rien n’est aujourd’hui connu sur les destinataires des Sonnets »,
rappelle d’ailleurs Jacques Darras. On ne sait pas qui est « le beau jeune
homme princier » des sonnets 1 à 126 (ceux de 1 à 17 l’exhortent à se
marier et à avoir des enfants, ceux de 18 à 126 sont un chant d’amour que lui
lance Shakespeare…), ni qui est « la dame noire » des sonnets 127 à
154.
Ces
« Sonnets » devraient pourtant nous éclairer. Cette forme est
traditionnellement le lieu de la confession pour les poètes. Mais pour
Shakespeare, le secret reste entier. En 1609, quand paraît le livre, William a
quarante-cinq ans, il lui reste sept ans à vivre. Le sonnet « est à
l’époque tout sauf un amusement gratuit ». Si l’Angleterre vit sous le
règne de Jacques Ier, l’ombre du paranoïaque Henri VIII plane encore. Le sonnet
est devenu « l’art de la lettre masquée ». D’envoyer des messages
codés. Surveillé de près, donc. Aucun risque pour Shakespeare : il ne fait
pas de politique. Certes obsédé par la mort, il veut se fait enchanteur. Mais,
au fond, il ne révèle rien de lui. Ça restera vrai jusqu’à sa mort : « Ne
dérangez pas ma poussière » est-il écrit sur la dalle de l’église paroissiale de la Trinité à Stratford,
sous laquelle il est enterré.
Comme
pour ces « Sonnets », les nouvelles traductions des monuments de la
littérature sont en genre en plein boum. Sur Internet, l’éditeur Publie.net
s’en est fait une spécialité, avec notamment neuf nouvelles versions, dont sept
signées par le romancier François Bon, de classiques de science-fiction de
Lovecraft (en téléchargement à 0,99 € pièce !). Les éditeurs traditionnels
ne sont pas en reste, avec quelques beaux succès à la clé : Philippe
Brunet et sa traduction de « L’Iliade » d’Homère aux éditions du
Seuil : 6 000 exemplaires vendus en grand format (le livre est aujourd’hui
disponible en poche chez Points) ; la nouvelle mouture de
« L’Énéide » de Virgile signée Paul Veyne, ancien professeur au
Collège de France : plus de 11 000 exemplaires (éd. Albin Michel-Les
Belles Lettres). Et Gallimard vient de publier à 8 000 ex. « La
comédie » de Dante revue par le poète et universitaire Jean-Charles
Vegliante. Des traductions à la fois proches de l’original et qui, selon
l’expression de Jacques Darras, « se fondent sans se dissoudre dans le
vers français moderne. » Certainement, la clé pour nous séduire.
LIRE
« Sonnets », William Shakespeare, édition bilingue, nouvelle
traduction de Jacques Darras, éditions Grasset, 334 p., 20,90 €. En librairie
le 13 février.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire