On ne sait pas trop où nous sommes (on reconnaît Bordeaux),
on ne saura rien de son travail à lui (elle est étudiante aux Beaux-arts).
Durant six mois, selon ses mots à lui, ils vont passer des « heures
merveilleuses ». Problème : elle cherche un ami, un alter ego, un
« double avec qui il ne se passera jamais rien », alors que lui est
certain d’avoir trouvé la femme de sa vie. « Je sais que c’est écrit. Tous
les fleuves mènent à la mer », tente-t-il de se convaincre. Mais elle ne
cède pas, l’amour est son tabou. Quand il insiste, elle lui envoie :
« Je ne peux pas te donner ce que je n’ai pas. »
Marc Pautrel |
Elle reste un mystère. « Je sais qu’elle cache des
choses, soit par jeu, soit par peur, ou par honte, tout est possible. Elle a
l’art du secret, l’habitude de taire et de compartimenter sa vie, je le sais,
je le sens. » Et le premier de ces secrets, il va le découvrir, est
qu’elle est « bipolaire », disent les psychiatres des institutions où
elle est admise de temps à autre. Difficile, de fait, de la bousculer. Mais le
garçon est têtu, c’est ça l’amour. Il s’enflamme : « Je serais son
médicament parfait ». Il livrera un beau combat : « je ne me
suis pas laissé faire, je me suis débattu, j’ai bataillé, j’ai tout fait pour
résister et retourner les choses ». En vain. Elle aura été lumineuse
(« polaire » aux yeux du narrateur, plutôt que bipolaire), se
nourrissant de l’avenir, mais incapable de construire une histoire au présent.
Elle était sa « terre promise ». Il a le sentiment, en prenant le
train qui les sépare pour toujours, de n’avoir plus rien.
De ces mois douloureux, de ces instants fugaces,
instables, Marc Pautrel fait un roman touché par la grâce. Un kaléidoscope de
moments cristallins qui montre, comme le chantait Gainsbourg, que certains
préfèrent fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve.
Philippe Vilain |
Autre combat d’un homme éperdu, sidéré, dans « La
femme infidèle » de Philippe Vilain, dont la phrase est toujours aussi
somptueuse, voluptueuse y compris quand elle s’immisce dans le glauque des
alcôves. Son récit est éternel : le mari vient de découvrir que sa femme
le trompe. Les circonstances sont modernes : il l’apprend par un texto.
« Elle avait oublié son téléphone portable sur une étagère de la
bibliothèque. Je m’en saisis, sans raison, sans autre raison, je le jure, que
de tromper l’ennui, sans m’expliquer non plus pourquoi, moi qui n’avais jamais
suspecté ma femme durant nos huit années de mariage, ni nourri aucune méfiance
envers elle, je me sentis comme appelé par son téléphone. » Très vite, il
ne sait plus penser qu’à « ça » : « Sans doute fallait-il
aussi que son infidélité devienne mon obsession pour que je me sente encore
relié à ma femme. » Paradoxe de la descente aux enfers : on sait
qu’on se fait du mal en ressassant, mais on ressasse.
Et, bien évidemment, il s’attaque aux douze travaux du
mari bafoué (suivre sa femme jusqu’à l’hôtel où elle retrouve son amant, etc.).
Au passage, il va en apprendre beaucoup sur… lui-même. Comme une révélation. De
quoi, qui sait ?, prendre à son tour goût à la liberté…
LIRE
« Polaire », Marc Pautrel, éditions Gallimard, 152 p., 15,90 €.
« La femme infidèle », Philippe Vilain,
éditions Grasset, 160 p., 14,95 €.
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