Elle parcourt les rues de Paris car elle ne tient pas en place.
Il est arrivé un drame. Alors qu’elle allait rejoindre son amant, un
photographe, dans la chambre de l’Hôtel des Embruns qu’ils louent parfois au
bord de la mer, alors qu’elle se trouvait sur le quai du métro qui devait
l’amener à son train, un vieil homme adossé à sa canne lui a souri… et s’est
jeté sous les rails de la rame qui arrivait (voir l’extrait ci-dessous).
Elle parcourt les rues de Paris. Depuis l’accident,
l’héroïne de « Écoute la pluie », le nouveau roman de Michèle Lesbre,
est sous le choc. Elle a fui la station de métro, elle avait encore le temps
d’attraper son train, elle aurait pu prendre un taxi, un bus, mais non. Elle
s’est précipitée chez elle, puis est ressortie, sans savoir pourquoi elle a
acheté une robe verte, l’a abandonnée sur un banc public, elle est retournée
chez elle, est revenue reprendre la robe. Qui n’était plus sur le banc. Elle
est comme un « marin perdu », ou une poule à qui l’on aurait coupé la
tête, « je tournais à droite et à gauche comme si je voulais fausser compagnie
à ce qui me poursuivait ». Elle ne parvient même pas à téléphoner à son
amoureux pour lui dire qu’elle sera en retard (ce qui le rend dingue), ou même
peut-être qu’elle ne viendra pas.
Elle parcourt les rues de Paris, elle a perdu la raison. Impossible
d’être raisonnable après ce qui vient de lui arriver. Le choc l’a en quelque
sorte rendue extralucide, il n’est plus temps de se mentir : le vieil
homme est mort, et son amour qui l’attend au loin certainement aussi.
« Quelque chose de nous gisait sous les roues du métro ».
Michèle Lesbre |
Elle parcourt les rues de Paris. Au gré des rues, des
rencontres, des frôlements de corps ou des lumières traversées, cherchant
l’apaisement, des fragments lui reviennent. Des pages d’Histoire (l’étoile
jaune, le métro Charonne, l’occupation du Larzac, etc.) jusqu’aux souvenirs
familiaux ou sentimentaux. Les failles de son histoire. Les injustices. Et
beaucoup de sensualité. Michèle Lesbre se place ici entre Patrick Modiano et la
Anny Duperey du « Voile noir » : à partir d’une image, elle nous
entraîne au cœur du plus intime de ce que l’homme garde au fond de soi. En
douceur, mais sans jamais lâcher prise. Errer, creuser, partager.
Dix ans, ou presque. Il a fallu près de dix ans à Michèle
Lesbre pour se « soulager » de ce qu’elle a véritablement vécu dans le
métro parisien en décembre 2003. Ce vieil homme qui lui avait souri avant de se
suicider, elle y était. En 2007, elle lui avait dédié son succès « Le
Canapé rouge » : « Au petit monsieur de la station
Gambetta ». C’est là, d’ailleurs, dans les alentours du cimetière du
Père-Lachaise, que l’auteur habite. C’est là qu’elle a enfin trouvé les mots
rares, à la fois envoûtants et simples, pour dire la paradoxale mélancolie qui
suit une gifle. Pour raconter le bien fou (oui fou, au sens propre du terme)
que peut entraîner le malheur.
LIRE
« Écoute la pluie », Michèle Lesbre, Sabine Wespieser éditeur, 112 p,
14 €. De Michèle Lesbre, le même éditeur réédite un texte de 2001, « Victor
Dojlida, une vie dans l'ombre » (112 p., 14 €).
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