Enrico Remmert |
Tous trois sont de Turin. Vittorio, le violoncelliste
hypocondriaque, doit se rendre à Bari, tout au Sud du pays, où il a décroché un
engagement de plusieurs mois. Francesca, sa fiancée, a décidé de l’accompagner…
pour lui annoncer qu’elle le quitte. Le voyage doit se faire en train, mais
voilà que surgit Manu, leur amie, au volant de la « Baronne », une
Punto munie de doubles commandes (Manu est monitrice d’auto-école). Manu vient
de se prendre une raclée d’Ivan, son petit ami, et elle est bien décidée à se
mettre à l’abri de ce fou furieux. En compagnie de Vittorio et Francesca.
Le périple se fera donc en voiture. Et, comme tout road-trip
qui se respecte, ce « Petit art de la fuite » d’Enrico Remmert va
offrir son lot d’obstacles improbables et/ou tragi-comiques à notre trio. C’est
d’abord Ivan qui les poursuit sur l’autoroute au volant de son 4x4, furieux
d’avoir été plaqué (et délesté d’une toile de maître). Plus tard, ce seront les
leçons de sagesse d’un vieillard, quasi hypnotiques. Ou la visite hallucinante,
sous la neige, d’un palais abandonné. Ou l’apparition d’un minibus Volkswagen
quand la Baronne rendra l’âme.
Michela Murgia |
Les déceptions, les coups du sort, les disputes vont se
succéder. Vittorio a l’innocence et l’immaturité de ceux qui n’ont pas guéri de
leurs blessures d’enfance, Francesca ne parvient pas à croquer la vie à pleines
dents (voir l’extrait ci-dessous), Manu est tellement libre qu’elle ne sait que
faire de sa liberté. La chance de ces trois-là est évidemment d’être ensemble,
que chacun puisse, de temps à autre, permettre à l’autre de sortir la tête de
l’eau.
Enrico Remmert doit être cinéphile, et connaît visiblement
les classiques du road-movie sur le bout des doigts, de « Thelma et
Louise » à « Easy Rider » en passant par « Western »
ou « Priscilla, folle du désert ». Il faut être sacrément talentueux
pour évoquer par l’écriture l’atmosphère envoûtante et fragile de ces voyages
absurdes, où tout chavire et rien ne change vraiment. Son roman est notre
premier coup de cœur de l’année 2013.
Autre trio italien, autre très beau livre avec « La
guerre des saints » de Michela Murgia. Comme dans
« Accabadora », son bouleversant premier roman paru en 2011 (et
disponible à présent en poche), nous sommes en Sardaigne. A Crabas, plus
précisément, « un gros bourg de neuf mille âmes ». Le trio, ce sont
trois garnements d’une dizaine d’années : Giulio et Franco, les natifs du
lieu… et Maurizio, qui n’y vient que l’été. A Crabas, Maurizio va apprendre à
attraper des oiseaux avec de la glu, à manier la fronde, à exterminer des rats,
à encaisser les histoires de fantômes racontées par les anciens… et découvrir
ce que peut signifier la première personne du pluriel : nous.
Ce « nous », comme l’union des habitants. L’idée
d’une communauté fraternelle, une idée qu’on croyait éternelle à Crabas. Jusqu’à
ce que la création d’une nouvelle paroisse sème la zizanie. Deux paroisses,
deux curés… et deux défilés pour la traditionnelle procession de la Rencontre.
Les adultes en perdent la raison. Restent les enfants, et ce qu’ils peuvent
avoir d’indomptable au fond des yeux.
LIRE « Petit art de la fuite », Enrico
Remmert, éd. Philippe Rey, 240 p., 18 €.
« La guerre des saints », Michela Murgia, éd. du
Seuil, 120 p., 15 €.
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