Joan Didion doit faire le deuil de sa fille. Bill Clegg doit vivre ou retomber dans la drogue. Deux récits poignants sur les fantômes intérieurs.
Joan Didion |
« Tu as tes merveilleux souvenirs », dirent les
gens par la suite, comme si les souvenirs étaient un réconfort. Les souvenirs
ne sont rien de tel. Les souvenirs portent par définition sur des temps passés,
des choses enfuies. […] Les souvenirs, c’est ce qu’on ne veut plus se
rappeler. » Alors, non, Joan Didion ne va pas faire étalage, catalogue de
ce dont elle se souvient au sujet de sa fille Quintana Roo, morte après de très
nombreuses hospitalisations.
Elle a longtemps cru qu’elle pouvait « faire en sorte
que les gens demeurent pleinement présents, les garder auprès de moi, en
préservant leurs mémentos, leurs « choses », leurs totems ». Mais
ce temps est révolu. Il y a eu trop de souffrances, trop de deuils à faire.
Joan a d’abord perdu son mari – à qui elle a érigé un sublime
« tombeau » littéraire dans « L’Année de la pensée
magique » (2007) -, puis maintenant sa fille. En outre, elle approche de
ses 80 ans, avec « l’esprit de plus en plus souvent tourné vers la
maladie, vers la fin des promesses, le déclin des jours. »
Bill Clegg |
Alors, s’il est impossible de conserver les disparus à côté
de soi, il est possible de leur rendre hommage. Pour ce faire, Joan Didion
convoque « les nuits bleues » (voir l’extrait ci-dessous).
« Le Bleu de la nuit », le titre qu’elle donne à son livre, c’est ce
moment où l’on vit pleinement dans l’éclatante lumière des beaux jours… en
pleine conscience, dans la tristesse aussi, de leur fin prochaine. Et son
projet, c’est ça : redonner par l’écrit du brillant, de l’existence aux
moments lumineux du parcours de Quintana sur Terre, tout en parlant d’elle-même,
Joan Didion, meurtrie, abasourdie de douleur, vieillissante. Une Joan Didion
qui se penche – sans jamais verser dans la plainte – sur les
« grandes » questions : la mort, bien évidemment, la maternité,
le couple, la vie en société, la création. C’est encore une fois d’une
intelligence et d’une sensibilité hors du commun.
Bill Clegg, lui, n’est pas mort. Il s’en est fallu d’un
cheveu. A plusieurs reprises dans « Portrait d’un fumeur de crack en jeune
homme » (2011), le récit autobiographique qui l’a fait découvrir, lui le
fringant agent littéraire new-yorkais à qui tout réussissait… avant qu’il ne
sombre dans l’alcool et la drogue. On le retrouve aujourd’hui à sa sortie de
cure de désintoxication. Il a tout perdu – compagnon, travail, amis, argent -.
Il ne reconnaît plus New York, la flamboyante New York, tout simplement parce
qu’il ne fait plus partie de la vie trépidante de la cité. Il n’a plus qu’on
objectif : tenir 90 jours. 90 jours sans boire ni se camer. Alors, on
pourra (peut-être) dire qu’il s’en est sorti. Pour ce faire, il participe aux
réunions d’anciens alcooliques et toxicomanes, il évite les zones « à
risque » (celles chargées de souvenirs ou celles où rôdent les dealers).
Mais la solitude et son combat contre ses fantômes intérieurs le mettent dans
un tel état qu’une rechute semble inévitable… Bill Clegg témoigne, et on plonge
dans sa détresse comme dans un thriller. Tout n’est que fragilité et cruauté
dans ce texte d’une infernale lucidité. Et tendresse.
LIRE « Le Bleu de la nuit », Joan Didion,
éd. Grasset, 234 p., 18,60 €.
« 90
jours », Bill Clegg, éd. Jacqueline Chambon, 190 p., 19,80 €.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire