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vendredi 25 janvier 2013

Le rendez-vous avec les assassins



Nicole Caligaris et Jean-Baptiste Harang ont été proches de crimes particulièrement atroces. Des crimes absurdes, sans réelles justifications.

« Le fait divers fascine, il franchit, par surprise, la limite de l’homme civilisé. » Cette limite, Nicole Caligaris en a vécu la proximité : « le 11 juin 1981, Issei Sagawa, trente-deux ans, a commis un meurtre suivi d’actes cannibales sur notre camarade d’université Renée Hartevelt, Hollandaise de vingt-trois ans, qu’il avait invitée dans son appartement. » Quelques jours auparavant, Nicole, Renée, Issei et quelques autres riaient ensemble « au cours d’une soirée improvisée entre étudiants. »
Nicole Caligaris
Trente ans plus tard, Nicole Caligaris retrouve chez elle des lettres que lui écrivit l’assassin depuis sa prison. Huit lettres. « Sans doute lui avais-je écrit, c’était dans un nuage, dans un lointain, dans un espace dont je ne pouvais pas nier l’existence. » Et qu’il va falloir assumer. Qu’elle le veuille ou non, elle est entrée dans l’intimité du tueur, du mangeur de chair humaine. « Le paradis entre les jambes » est le compte-rendu de cette expérience : que faire de l’empreinte laissée par cet acte ? Comment expliquer « l’opacité » de ce crime particulièrement atroce, et absurde ? Nicole Caligaris refuse de faire d’Issei Sagawa un monstre. C’est son acte qui est monstrueux. Lui est un homme, « humain toujours, c’est-à-dire autre moi-même, formant l’humanité comme je la forme. » Elle ne le considère pas non plus avec sympathie. Elle tâtonne. Cherche ce qui relie les membres de notre société, ce qui fonde notre rapport au corps, le mystère et la puissance du regard notamment, et bien évidemment ce que la littérature fait de ces choses là. Une plongée au cœur de l’inavouable, érudite et audacieuse.
Pour info, Issei Sagawa a bénéficié en 1983 d’un non-lieu pour irresponsabilité mentale, est retourné au Japon en 1984. Libéré en 1986, il mène depuis une existence très médiatique entre livres, chansons, films et shows télévisés qui lui sont consacrés…
Jean-Baptiste Harang
Dans le « Bordeaux-Vintimille » de Jean-Baptiste Harang, la victime s’appelle Rachid Abdou. En réalité, son nom était Habib Grimzi, mais l’auteur a préféré – et il n’explique pas là-dessus – changer les noms des personnes. Le 14 novembre 1983, Rachid Abdou quitte une amie à qui il est venu rendre visite à Bordeaux, s’installe dans le train pour Vintimille… dont il sera jeté à minuit 20 par trois jeunes gens à destination d’Aubagne où ils allaient passer les tests d’engagement à la Légion étrangère. Jean-Baptiste Harang était correspondant régional pour la quotidien Libération au moment des faits, et il se souvient. Ou plutôt il recompose minutieusement l’enchaînement malheureux des circonstances qui ont transformé un paisible voyageur en bouc émissaire de pseudo-militaires plus ou moins avinés, plus ou moins racistes, plus ou moins idiots. Ce faisant, il instruit le procès de la Légion (bien silencieuse après coup), des passagers du train (hormis un contrôleur et une vieille dame), aveugles et sourds comme le veut la tradition… Un récit clinique qui raconte la catastrophe « ordinaire » qu’entraîne le mariage de la bêtise (des uns) et de la lâcheté (des autres).
 LIRE « Le paradis entre les jambes », Nicole Caligaris, éd. Verticales, 172 p., 16,90 €.
« Bordeaux-Vintimille », Jean-Baptiste Harang, éd. Grasset, 126 p., 12,10 €.

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