Nicole Caligaris et Jean-Baptiste Harang ont été proches de
crimes particulièrement atroces. Des crimes absurdes, sans réelles
justifications.
« Le fait divers fascine, il franchit, par surprise, la
limite de l’homme civilisé. » Cette limite, Nicole Caligaris en a vécu la
proximité : « le 11 juin 1981, Issei Sagawa, trente-deux ans, a
commis un meurtre suivi d’actes cannibales sur notre camarade d’université
Renée Hartevelt, Hollandaise de vingt-trois ans, qu’il avait invitée dans son
appartement. » Quelques jours auparavant, Nicole, Renée, Issei et quelques
autres riaient ensemble « au cours d’une soirée improvisée entre
étudiants. »
Nicole Caligaris |
Trente ans plus tard, Nicole Caligaris retrouve chez elle
des lettres que lui écrivit l’assassin depuis sa prison. Huit lettres.
« Sans doute lui avais-je écrit, c’était dans un nuage, dans un lointain,
dans un espace dont je ne pouvais pas nier l’existence. » Et qu’il va
falloir assumer. Qu’elle le veuille ou non, elle est entrée dans l’intimité du
tueur, du mangeur de chair humaine. « Le paradis entre les jambes »
est le compte-rendu de cette expérience : que faire de l’empreinte laissée
par cet acte ? Comment expliquer « l’opacité » de ce crime particulièrement
atroce, et absurde ? Nicole Caligaris refuse de faire d’Issei Sagawa un
monstre. C’est son acte qui est monstrueux. Lui est un homme, « humain
toujours, c’est-à-dire autre moi-même, formant l’humanité comme je la
forme. » Elle ne le considère pas non plus avec sympathie. Elle tâtonne.
Cherche ce qui relie les membres de notre société, ce qui fonde notre rapport
au corps, le mystère et la puissance du regard notamment, et bien évidemment ce
que la littérature fait de ces choses là. Une plongée au cœur de
l’inavouable, érudite et audacieuse.
Pour info, Issei Sagawa a bénéficié en 1983 d’un non-lieu
pour irresponsabilité mentale, est retourné au Japon en 1984. Libéré en 1986, il
mène depuis une existence très médiatique entre livres, chansons, films et
shows télévisés qui lui sont consacrés…
Jean-Baptiste Harang |
Dans le « Bordeaux-Vintimille » de Jean-Baptiste
Harang, la victime s’appelle Rachid Abdou. En réalité, son nom était Habib
Grimzi, mais l’auteur a préféré – et il n’explique pas là-dessus – changer les
noms des personnes. Le 14 novembre 1983, Rachid Abdou quitte une amie à qui il
est venu rendre visite à Bordeaux, s’installe dans le train pour Vintimille…
dont il sera jeté à minuit 20 par trois jeunes gens à destination d’Aubagne où
ils allaient passer les tests d’engagement à la Légion étrangère. Jean-Baptiste
Harang était correspondant régional pour la quotidien Libération au moment des
faits, et il se souvient. Ou plutôt il recompose minutieusement l’enchaînement
malheureux des circonstances qui ont transformé un paisible voyageur en bouc émissaire
de pseudo-militaires plus ou moins avinés, plus ou moins racistes, plus ou
moins idiots. Ce faisant, il instruit le procès de la Légion (bien silencieuse
après coup), des passagers du train (hormis un contrôleur et une vieille dame),
aveugles et sourds comme le veut la tradition… Un récit clinique qui raconte la
catastrophe « ordinaire » qu’entraîne le mariage de la bêtise (des
uns) et de la lâcheté (des autres).
LIRE « Le paradis entre les jambes »,
Nicole Caligaris, éd. Verticales, 172 p., 16,90 €.
« Bordeaux-Vintimille », Jean-Baptiste Harang, éd.
Grasset, 126 p., 12,10 €.
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