Nous avons inventé la société parfaite. A chaque
problème sa solution. Et pour tous les problèmes sans solution – la vie, la
mort, l’amour – il y a l’oubli et la fête. » Le ton est donné. Yann
Kerninon, qui avait déjà rué dans les brancards de la philosophie en 2009 avec
sa nécessaire et jubilatoire « Tentative d’assassinat du bourgeois qui est
en moi », remet le couvert avec « Vers une libération
amoureuse. » Sa cible : l’E.C.P., l’Éponge Connerie Planétaire
(fallait oser !), c’est-à-dire cette espèce de trou noir qui engloutit,
brutalement ou insidieusement, nos désirs et les reformate. Qui fait que
l’autre est « considéré comme une ressource consommable, à consommer et à
jeter ensuite. » Qui transforme nos existences en un monument d’ennui,
« de superflu, d’anecdotique et de vulgaire. »
Yann Kerninon |
Ce monde d’aujourd’hui est, d’après Yann Kerninon, le monde
de l’expérience. A savoir la quatrième époque de l’humanité, après l’économie
de la matière première (épices, charbon, fer…), de la transformation (voitures,
produits manufacturés…), et des services (hôtellerie, télécommunications…). Entre
« sports extrêmes et voyages en calèches », nous sommes sans cesse
invités à faire de nouvelles expériences. Autant d’expériences, d’après
l’auteur, de la… non-expérience. Car, ce qu’il appelle de ses vœux, et c’est
tout le cri – attendrissant, enthousiasmant, parfois naïf, parfois bavard -
qu’il lance dans son essai, c’est exactement le contraire : que notre
existence repose sur « une réelle mise en danger, vraie source de plaisir,
vraie rencontre de l’autre, de la vie, de nous-mêmes. »
Et le remède entre tous serait l’amour. L’Amour, avec un
grand A, qui « recèle quelque chose de sacré qui nous impose de le
respecter, de le cultiver, de lui rendre un culte, de ne jamais le négliger, de
ne jamais le traiter à la légère. » Qu’il serait grand temps de réinventer
car, en matière d’amour, de sexualité et de sentiment, nous en sommes restés au
Moyen Âge. » A cette stagnation, une raison majeure : l’amour est une
chose excessivement difficile. Possession, jalousie, violence nous dévorent.
Les fantasmes sont des miroirs aux alouettes qui ouvrent sur le vide. La morale
est synonyme de démission. Bref, que d’embûches !
Pour s’extirper de l’E.C.P. et réinvestir l’amour, Yann
Kerninon propose (on résume, son argumentaire est bien plus complet) de se
faire funambule et/ou dandy. Le premier parce qu’il accepte le déséquilibre,
mêlant « l’intensité et l’exigence ». Ni fou, ni calculateur,
« il vise les sommets sans jamais perdre de vue l’abîme et, pour y
parvenir, inlassablement, pratique et s’entraîne. » Le second, le dandy
amoureux, cherche à « dévoiler la vérité et la beauté de toute
rencontre. » Loin de la médiocrité, de la consommation frénétique, de la
peur (de perdre l’autre, par exemple, cette peur qui nous empêche d’aimer
vraiment), la quête du dandy, c’est l’élégance, du sentiment comme du vêtement.
« Inventer autre chose sans faire semblant. » Beau programme,
non ?
LIRE « Vers une libération amoureuse »,
Yann Kerninon, éditions Libella-Maren Sell, 260 p., 19 €.
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