Parmi les 525 nouveaux romans attendus pour cet hiver,
combien de chefs-d’œuvre ? Un ? Deux ? Aucun ? Le nouveau
Marie NDiaye, Michèle Lesbre, François Bégaudeau, Daniel Arsand, Joan
Didion (quelques noms qui donnent envie de se précipiter sur leurs
nouveaux livres) ? Et même après lecture d’un roman qui nous aura
enthousiasmé, enflammé, transporté de bonheur, comment savoir s’il passera à la
postérité, s’il deviendra l’un de ces « classiques » qui fascinent
autant qu’ils impressionnent ?
Charles Dantzig s’est donné pour mission de nous aider à
repérer, aimer, transmettre ces livres qui, parfois, sont tellement mis sur un
piédestal qu’ils nous paraissent avoir écrits pour d’autres, plus érudits, plus
savants que nous. Mais non ! Un chef-d’œuvre est quelque chose de l’ordre
du miracle, « un anarchiste qui pose une bombe dans les paresses ».
Quelque chose d’imprévu, d’inutile, « un chef-d’œuvre est ce qui s’oppose
à la mentalité comptable du monde ». Il faut donc oser le lire !
Alors, à quoi reconnaît-on un chef-d’œuvre ? C’est
d’abord un livre qui ne ressemble à rien de connu, une rupture, « un
fracas » comme le souligne Charles Dantzig, qui précise : « le
fracas d’une fleur. » C’est surtout un travail absolument sincère
(« la sincérité est un abandon, par l’abandon on attrape des choses, ces
choses sont gracieuses et inattendues, comme la trapéziste qui, semblant lâchée
par son partenaire, saisit un foulard au passage »). Et puis, évidemment,
l’argument imparable : « un chef-d’œuvre fait mieux que rajeunir qui
le lit, il lui donne, un instant, l’immortalité. Le chef-d’œuvre triomphe du
temps. »
Charles Dantzig |
Par conséquent, on est en droit d’attendre de l’auteur qu’il
nous guide, qu’il se jette à l’eau en nous donnant sa liste de chefs-d’œuvre.
Il ne se défile pas. Au-delà des incontournables (Shakespeare, Voltaire,
Chateaubriand, Balzac, Proust, etc.), il surprend avec « Les Enfants
terribles » de Jean Cocteau ou « Théorème » de Pasolini. Son
panthéon personnel fait saliver : « Horn » de Pierre Lerne (1996),
les « Souvenirs imaginaires » de Pierre Herbart (1968), le
« Journal des erreurs » d’Ennio Flaiano (1977), « La Pêche à la
truite en Amérique » de Richard Brautigan (1967)… ou « Les
Aristochats » (oui, le dessin animé de Walt Disney), pour n’en citer que
quelques-uns.
Bon, en échange, il mégote sur James Joyce, fait la moue
pour Houellebecq et déteste Duras. Admettons. Mais, quand il voue Céline aux
gémonies, sa démonstration laisse pantois : après avoir affirmé que chaque
lecteur a droit à son propre choix de chefs-d’œuvre, il traite les admirateurs
de « Voyage au bout de la nuit » d’incultes ; après avoir posé
qu’un chef-d’œuvre doit se lire seul, sans références à l’auteur ou au contexte
de sa rédaction, il massacre Céline pour ce qu’il était en tant qu’homme (peu
recommandable, en effet). Va comprendre.
Broutille, au final. Car Charles Dantzig, surfant entre
lyrisme et érudition, se fait tellement le chantre de la curiosité qu’il
emporte l’adhésion. Ses formules claquent et caressent, on a envie d’en être
un, comme lui, de ces lecteurs de chefs-d’œuvre. De le mériter.
LIRE « A propos des chefs-d’œuvre »,
Charles Dantzig, éditions Grasset, 280 p., 19,80 €.
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