François Cheng |
J.-B. Pontalis |
Chez François Cheng, l’amour rend immortel dans la Chine du cruel roi
Zheng. Pour J.-B. Pontalis, avoir tous les âges serait une réponse à la peur de
la mort.
Elle s’appelle Chun-niang. Elle n’est encore qu’une enfant
quand ses parents, de pauvres paysans jetés sur les routes à cause d’une
famine, la vendent à des aubergistes. Là, elle va à la fois connaître l’horreur
en se faisant violer par son nouveau « père », et une double
illumination, en rencontrant les deux hommes de sa vie : Gao Jian-li, qui
ensorcele son public en jouant du zhou (un instrument à cordes chinois), et
Jing Ko, un mercenaire au grand cœur. Ces trois-là, dans la folie de ces temps
reculés (le 3ème siècle avant notre ère) vont vivre d’amour et
d’amitié, de passion et de respect, en harmonie avec la nature. « Moment
miraculeux. »
Hélas, hier comme aujourd’hui, la folie d’un seul peut
précipiter dans le malheur des millions d’autres. Le tyran d’alors se nomme le
roi Zheng. Aussi ambitieux qu’audacieux, il « est connu pour son caractère
cruel et féroce. » Son appétit de pouvoir n’a pas de limites, et il se lance à
l’assaut des royaumes voisins, les réduisant à sa merci l’un après l’autre,
ruinant les territoires, décimant les populations, régnant par la terreur et
les tortures les plus effroyables. Il sera confié au valeureux Jing Ko la
mission de l’assassiner. En pure perte. Gao Jian-li prendra le relais. Il en
mourra aussi. Histoire tragique ? Certes. Mais ces deux « âmes
errantes », comme les qualifie François Cheng, vont revenir, et reprendre
leur merveilleuse ronde avec Chun-niang, dans cette vie, une autre vie,
« une autre vie dans cette vie. » Que s’élève alors, pour clore ce
livre singulier, mélange de récit historique et d’ouvrage de sagesse
universelle, le délicat et puissant « chant des âmes retrouvées »,
celui qui clame que « toute vie est à refaire et à réinventer. »
J.-B. Pontalis est compagnon de philosophie de François
Cheng. Le temps est également sa grande question. Dans « Avant », il
s’interroge, par fragments, anecdotes ou abécédaire, sur cette étrange manie
que nous avons (presque) tous de dire « C’était mieux avant », au
mépris du constat objectif de l’amélioration de nos conditions d’existence. Plusieurs
explications : ceux qui nous étaient chers disparaissent (avant, c’était
« quand tous mes amis, quand tous ceux que j’aimais, étaient
vivants ») ; et « nous acceptons mal notre finitude, nous ne
voulons pas être réduits à notre existence éphémère » ; enfin, notre
mémoire ne sélectionne peut-être que les pages roses du passé (c’est pour cela
que le psychanalyste « ne fait guère confiance aux souvenirs racontés,
évoqués, tant ceux-ci sont transformés, déformés comme l’est tout récit »).
Nous nous retournons avec trop de bienveillance sur notre
passé car, plus nous vieillissons, et plus nous prétendons que le temps
s’écoule trop vite. La fin approche à trop grands pas, en nous laissant dans
l’ignorance de son irruption. La solution - et là Pontalis rejoint encore
François Cheng - serait d’affirmer haut et fort que « j’ai tous les âges,
je suis un animal féroce, un végétal, une étoile, un rocher, un fleuve, un feu
qui brûle, un oiseau, un poisson, je nais et je meurs. » Et la peur serait
partie ?
LIRE « Quand reviennent les âmes
errantes », François Cheng, éd. Albin Michel, 160 p., 14 €.
« Avant », J.-B. Pontalis, éd. Gallimard, 146 p.,
14,50 €.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire