John King |
April, sa femme, est morte il y a dix ans, et Terry, à
presque cinquante ans, se tient toujours debout. Il a fini de payer le crédit
de son pavillon, il dirige sa propre boîte, il a un peu d’argent à la banque, ses
filles, 20 ans et plus, sont installées dans la vie. Laurel, son fils, a bien
quitté la maison a 15 ans, mais ne semble pas être en danger pour autant. Mais
il reste April. Son souvenir, partout, tout le temps.
Terry ne laisse rien paraître. C’est un dur, un skinhead,
qui a très tôt appris à se battre dans cette banlieue de Londres, peut-être en
réaction à un père trop accommodant. D’ailleurs, sa compagnie de taxis, Estuary
cars, n’embauche que des skinheads (voir l’extrait ci-dessous). Pas forcément
des mecs faciles à vivre, mais fidèles, loyaux, solidaires. Des skinheads quoi.
Car, c’est bien là toute la force du roman de John King, icône de la
littérature prolétaire depuis le succès de « Football factory »,
c’est de rendre justice à ce mouvement – les skinheads – devenu aujourd’hui
synonyme de violence et d’extrémisme de droite.
L’image est classique. Elle tient du cliché. Qu’est-ce qu’un
skinhead si ce n’est un abruti tondu et tatoué, gueule de tueur et cerveau de
pitbull, raciste, casseur de « pédés », amateur de foot (le skinhead
se double souvent du hooligan) et de musique dégénérée ? John King rappelle
que les skins apparaissent en Angleterre au début des années 60. Dans les
quartiers populaires, une partie de la jeunesse ne se reconnaît pas dans les
hippies, elle préfère se marginaliser en restant respectueuse des valeurs de la
classe ouvrière britannique : défense de la communauté, virilité, amour de
la bière, fraternité, patriotisme. Ces fils d’ouvriers se sentent plus proches
des émigrés jamaïquains que des banlieusards parvenus de la middle class.
Pauvres noirs et petits blancs sont dans la même galère. Ils écoutent le même
reggae d’origine jamaïquaine, ou son ancêtre, le ska (un rythme plus rapide).
Comme toujours en Angleterre, une mode musicale engendre une
mode vestimentaire et les jeunes prolos blancs amateurs de reggae cultivent un
look opposé à celui des hippies. Ceux-ci portent des cheveux longs ? Les
fils de l’East End se rasent le crâne – la légende veut aussi que ces
« rastas » blancs se soient coupés les cheveux pour ne plus être
agrippés par la police montée de Sa Majesté – et les tabloïds les affublent du
surnom de skinheads, littéralement « têtes peau ». Les hippies
arborent des chemises à fleurs ? Les skins se contentent de sobres blousons de
toile noire (les Harrington), de chemises de boucher (Ben Sherman), de lourds
pardessus (crombies) et de godillots à lacets inventés par un
orthopédiste, le docteur Martens. Ils adoptent un cri de ralliement emprunté au
patois cockney (londonien) : « Oï ! », une
abréviation de « O, you ! » (« Hep,
toi ! ») utilisée pour apostropher quelqu’un.
Oui, au-delà de l’amour (ah ! la voluptueuse Angie) et
de la mélancolie (Terry ouvre un pub « à l’ancienne ») qui baignent
ces pages, John King raconte une page d’Histoire méconnue. Une Histoire
toujours en train de s’écrire. Si son roman pouvait faire tomber quelques
préjugés et stéréotypes, il aurait gagné la partie.
LIRE « Skinheads », John King, éd. Au
Diable Vauvert, 392 p., 22 €.
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