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dimanche 6 mai 2012

Grandir, le métier le plus difficile


Bernard Chapuis
Cécile Coulon

Les adultes font des mystères. Comment l’enfant va-t-il faire alors pour devenir une « grande personne » ? Bernard Chapuis et Cécile Coulon racontent.

A quoi ressemblent les rues de Paris quand on débarque, à l’âge de huit ans dans les années cinquante, à Singapour ? A une jungle. Le petit Jean Dulac, baptisé « l’Angliche » à l’école pour sa connaissance approximative du français et son accent anglais, doit tout (ré)apprendre. La géographie, l’histoire, les relations sociales. Pas facile de grandir ainsi quand, en plus, les repères familiaux sont pour le moins baroques. Quand les parents invitent des amis, c’est pour… se coucher sur les tapis du salon et fumer de l’opium. Et puis il y a Lou. Ce père d’apparence si sereine (officier de la Royale, tout de même !) et si complexe, attachant et lointain. Un héros, bientôt un fantôme.
Ce retour en France en 1953, l’année de la mort de Staline (l’événement ouvre le roman), sonne d’abord comme un émerveillement bancal aux yeux de Jean. Mais, peu à peu, les pièces d’un puzzle trouble se mettent en place : les fins de mois difficiles remplacent la vie luxuriante en Asie, l’opération d’une hernie de maman cache bien autre chose, et si le mensonge familial veut que Lou soit « fatigué », la réalité est bien plus sombre. C’est à un rêve brisé auquel nous convie Bernard Chapuis dans un roman très autobiographique, aussi élégant que mélancolique, aussi acidulé que documenté. Rien n’est grave, tout est mystère. Et c’est ainsi que les enfants doivent grandir, tant bien que mal.
Grandir, Thomas, le héros du « Roi n’a pas sommeil » de Cécile Coulon, n’y est pas arrivé. Tout est parti en eau de boudin, on ne sait pas trop comment. Sa maman était si gentille, en adoration devant son fils. Fière, « comme toutes ces mères qui admirent leurs bambins sans trouver quoi que ce soit à leur reprocher, si ce n’est l’agaçante perfection qu’ils mettent en œuvre dans tout ce qu’ils accomplissent. » Les deux vivaient une relation fusionnelle. Thomas était un si bon garçon, toujours prêt à porter les sacs des petites vieilles à la sortie des magasins, à donner un coup de main pour un déménagement. « Un modèle d’altruisme. »
Mais personne ne connaissait réellement Thomas. En grandissant, il s’était certes transformé, mais seulement physiquement. « Son corps avait pris de l’assurance, lui non. Son âme ressemblait à un miaulement sorti d’un bunker. » Thomas était, en son fort intérieur, scellé en lui, le portrait craché de son père, William Hogan. Taciturne, ombrageux, rongé par ses démons. Un soir, alors qu’elle s’emportait de désir pour Thomas, la délicieuse Donna allait soulever le couvercle, libérer la violence qui hantait le jeune homme. Le mal allait terrasser l’agneau.
L’Amérique profonde est à la mode ces temps-ci chez les auteurs français : après Laurent Seksik, Richard Morgiève ou Marc Dugain, Cécile Coulon s’en sert à son tour pour dire le combat acharné, à l’issue incertaine, pour devenir un homme. Jouant de la chronique (pour le réalisme) et de la poésie (pour les métaphores, souvent magnifiques, parfois dispensables), elle témoigne du danger à laisser le silence s’installer dans le cœur des enfants.

LIRE « Le roi n’a pas sommeil », Cécile Coulon, éd. Viviane Hamy, 144 p., 17 €.
« Onze ans avec Lou », Bernard Chapuis, éd. Stock, 272 p., 17 €.

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