photo Louis Monier |
Il écrit des romans noirs sous le nom de Dounovetz. Il se
raconte en empruntant le nom de sa mère, Chefdeville. L’enfant de Frédéric Dard
alias San-Antonio.
« La lose, chez moi, c’était un art de vivre. Le meilleur
des perdants, c’était ça mon credo. A mes yeux, ça présentait toujours mieux
qu’être premier en étant juste un honnête faiseur. J’étais sans concessions et
avec mon caractère de cochon, j’entretenais mon insuccès. Je ne savais pas me
vendre et ne faisais jamais le moindre effort pour que la situation s’arrange.
Tout sauf une pute, totalement réfractaire au système, je n’aimais que le rock
tartare et les amplis qui saignent. »
De cette profession de foi, on retiendra deux choses :
primo, que Serguei Dounovetz est d’une honnêteté sans faille dans la
confession ; deusio, que le bonhomme est pris, parmi ses nombreuses
faiblesses, d’une addiction pathétique pour le jeu de mots à deux balles.
« Le rock tartare, les amplis qui saignent », fallait oser. Un autre
exemple ? Quand on lui demande de tricoter une intrigue à la Raymond
Chandler, l’auteur culte de romans noirs, il rétorque : « Mais
moi, je m’en branlais de Chandler, j’ai jamais aimé les crêpes. » C’est
bien simple, on n’avait pas vu tel tripotage éhonté de langage depuis Frédéric
Dard, et son avatar San-Antonio. C’est évidemment un compliment. Les points
communs ne manquent pas entre les deux auteurs : comme Frédéric Dard,
Dounovetz s’est inventé un double, Chefdeville, le nom de sa mère. Au
premier, l’écriture de ses polars. Au second, les récits autobiographiques.
Autre point commun : un pessimisme fondamental, qui les condamne tous deux
à rire (jaune) de leur existence absurde.
Dans « Je me voyais déjà… », Dounovetz/Chefdeville
se raconte. Ses origines : « un drôle de pedigree, un sang-mêlé,
moitié feuj ukrainien coco, un quart bourguignon catho, et le dernier quart,
pas breton, mais auvergnat poujadiste, un vrai Gaulois quoi. » Son
improbable parcours. Les incroyables rencontres de sa
vie : Maurice Béjart ou Merce Cunningham pour la danse, Mick Jagger (en
auto-stoppeur !) ou les Pink Floyd pour le rock, Philippe Noiret ou Annie
Girardot pour le cinéma. Autant de scènes d’anthologie. Faut-il tout
croire ? Tout est vrai… ou presque, paraît-il.
On rit énormément. On s’attache surtout à drôle de misanthrope,
qui aura placé l’échec au rang de coquetterie : « Pourquoi les
opportunités m’étaient-elles toujours arrivées trop tôt, alors que j’étais
velléitaire et immature, et trop tard, quand je n’avais plus le goût de la
rébellion et du succès ? » On se prend de tendresse pour une telle
sincérité. On en redemande, ce talent-là est bien rare.
Justement, histoire de rester encore un peu avec lui, les
éditions du Dilettante profitent de la sortie de « Je me voyais
déjà… » pour rééditer « Odyssée Odessa », un flamboyant roman
noir paru pour la première fois en 1999. Un roman de mecs « qui en ont »,
ça percute dans les mots et dans l’action, des tripes, de la gouaille. Les
vrais durs (ici, il s’appelle Kléber) ont un gros cœur, les petites frappes ont
le sang chaud, et tout le monde, flics et voyous, cherche à y voir clair. Le
suspense est impeccable, l’écriture tendue et tonique, les personnages habités.
Là aussi, on en redemande.
LIRE Aux éditions Le dilettante, « Je me voyais
déjà… » signé Chefdeville et « Odyssée Odessa » signé Dounovetz,
286 p. et 20 € le volume.
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