Une naissance, des chemins possibles, des hasards, des rencontres, des choix, des erreurs, une légende. Une vie. Philippe Jaenada, avec son talent inimitable pour mêler le rire aux larmes, l’accessoire à l’essentiel, cette signature unique dans le paysage littéraire français, ose un pas de côté après nous avoir tant régalé des rebondissements tragi-comiques de sa propre existence. Il ose affronter la trajectoire de Bruno Sulak. « Bruno Sulak, le légionnaire modèle, le magicien, le gangster en tenue de tennis, l’homme qui a volé la panthère, Bruno Sulak l’éternel évadé ». Bruno Sulak né à Sidi-bel-Abbès en 1955, mort en 1985, tombé d’une fenêtre de Fleury-Mérogis lors d’une tentative d’évasion (a-t-il été poussé dans le vide ?). Il n’avait pas trente ans. Entre les deux, le parcours d’une comète, d’une étoile filante, d’un feu follet… au royaume des braqueurs. Dans la catégorie rare, et reine, des gentlemen cambrioleurs.
Philippe Jaenada |
Une vie guidée par une phrase du grand-père, venu de
Pologne en France en 1900, qui disait : « Regarde devant, ce qu’il te
reste à faire, ne regarde jamais derrière. » Une vie portée par le
charisme hérité de Stanislas, son père : dès l’adolescence, Bruno
« impose le respect par nature, on l’écoute parce qu’il parle, on l’estime
parce qu’il a l’air de savoir de quoi il parle, et on le suit parce qu’on
l’estime. » Bref, pour faire entendre le genre de formule dont Philippe
Jaenada a le secret : « Dans
le petit chaos des trottoirs, il est rassurant d’emboîter le pas [à Bruno]. »
De fait, dès ses quinze ans, Bruno Sulak est entouré
d’une petite bande. Il sera toujours (ou presque) entouré. Il endossera le rôle
de meneur, ne dénoncera jamais ses complices même quand il aurait pu partager.
Après ses potes de Marseille (et un stupide vol de mobylette qui aura une
malheureuse conséquence), sa meute suivante sera la Légion. Il désertera, et ce
sera le début de la cavale, les premiers braquages, des supermarchés, plus tard
des bijouteries. Là aussi accompagné de ses fidèles, son complices serbes Drago
et Steve – le garde du corps de Jean-Paul Belmondo - ou la belle Thalie, jeune
fille de bonne famille en rupture de ban. La signature de ses hold-up ?
Une Simca 1000 (voir l’extrait ci-dessous). Son plus incroyable fait
d’armes ? Cambrioler un joaillier parisien dans un quartier truffé de
policiers lors d’une visite officielle d’Helmut Kohl. Et davantage qu’une
coquetterie : un revolver uniquement chargé de balles à blanc.
Alors, Sulak, voyou sympathique ? Ce Sulak pétri de
talents : hockeyeur, marathonien, prestidigitateur, pilote d’hélicoptère,
etc. Ce Sulak lisant les plus grands auteurs dans sa cellule. Ce Sulak,
incarnation de la folie, de « l’innocence » des années 70 et 80, dont
« Sulak », le livre, est en creux un formidable portrait. Philippe
Jaenada ne verserait-t-il pas dans l’apologie d’un hors-la-loi ? Indéniablement.
Il y a là une infinie tendresse de l’ours (Jaenada) pour le fauve (Sulak). Comme
une infinie tristesse aussi, face au destin de celui qui n’aura finalement
jamais trouvé sa place : « Comme un géant vide à qui on ne
proposerait que des graines de courge. »
LIRE
« Sulak », Philippe Jaenada, éditions Julliard, 494 p., 22 €.
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