Harold, employé au rayon charcuterie d’un supermarché
londonien, harcelé par Carol, sa collègue du rayon fromages (voir l’extrait
ci-dessous), serait parfaitement transparent aux yeux des autres s’il n’avait
un passe-temps parfaitement singulier : faire une ou deux fois par semaine
semblant de se suicider, le plus souvent par pendaison dans le hall d’entrée de
son immeuble. Glups.
Bref, on n’a pas encore fini de lire les trois premières
pages de « Harold », un premier roman allemand signé d’un pseudonyme,
Einzlkind (on sait seulement que l’auteur a une quarantaine d’années et aurait
suivi des études de philosophie) qu’on est pris, attrapé, fasciné par ce
mélange d’absurde et d’ironie, de tendresse et de mélancolie, un cocktail
étrange, déroutant, impossible à lâcher. Quant à Harold, c’est son emploi qui
va le lâcher. Au chômage, l’une de ses voisines lui met entre les pattes pour
une semaine Melvin, son fils de onze ans, mi-autiste, mi-génie, du piment dans
l’existence sans sel du vieux célibataire.
Melvin, c’est le genre de gosse qui vous traîne aux
courses hippiques, vous explique qu’il a une méthode infaillible pour gagner
(et vous perdez tout votre argent), qui vous amène dans un pub et provoque deux
grosses brutes (et vous partez en courant pour éviter la dérouillée). De quoi
vivre l’enfer, de se débarrasser de ce poison au plus vite, mais le hic, c’est
que Harold est incapable de refuser quoi que ce soit à qui que ce soit.
Dana Spiotta |
Alors, quand Melvin propose d’emprunter la voiture de sa
mère pour tenter de retrouver son géniteur qu’il ne connaît pas, Harold prend
le volant pour un road-movie aussi savoureux qu’haletant (et fichtrement
émouvant sur la fin) sur les routes d’Angleterre et d’Irlande. Si ça se trouve,
ces deux-là, couple improbable, iront un jour en Autriche. Pourquoi ? Vous
le saurez en lisant ce merveilleux roman jusqu’au bout.
On retrouve d’autres êtres malmenés par l’existence dans
le « Stone Arabia » de Dana Spiotta. L’histoire d’un frère, Nik, et
de sa sœur Denise, inséparables depuis l’enfance, et encore réunis dans la
déchéance du premier. Nik, musicien de talent mais maudit, qui, depuis trente
ans, se bâtit une autobiographie virtuelle, ce qu’il appelle ses
« Chroniques », dans lesquelles il reconstruit, jour après jour, l’existence
de rock star à laquelle il n’a jamais eu droit. Quand son chien meurt dans la
vraie vie, son chien meurt également dans les Chroniques, sauf que, dans ces
dernières, le chien a droit à de fabuleuses funérailles, les fans envoyant à la
star des milliers de cartes de condoléances…
Denise, c’est un peu ce qu’il reste de stable dans la vie
en miettes de Nik. Mais comment fait-elle, cette femme courage avec, en plus de
Nik qui sombre dans la folie, une mère gagnée par la maladie d’Alzheimer ?
En fait, elle n’est pas loin de craquer, entre déceptions et peurs.
Un roman délicatement composé, un peu à la manière d’une
Joan Didion ou d’un Don DeLillo, terriblement triste, le constat amer sur les
désillusions d’une génération, sur une Amérique rentrée dans le rang, et, plus
généralement, sur les combats perdus de ceux qui rêvaient d’atteindre les
étoiles.
LIRE
« Harold », Einzlkind, éd. Actes sud, 240 p., 20 €.
« Stone
Arabia », Dana Spiotta, éd. Actes sud, 288 p., 22,50 €.
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