C’est le prix Femina étranger 2013, et c’est une récompense
amplement méritée. C’est le septième roman de Richard Ford, de retour à son
meilleur, au niveau qui nous emportait d’émotion avec « Ma mère » ou
« Une saison ardente ». C’est le récit d’une existence qui bascule à
l’âge de quinze ans, et de ce qu’on a fait ensuite du « feu d’une
vie ».
Richard Ford |
Nous sommes en 1960 aux États-Unis, l’élection
présidentielle oppose Kennedy et Nixon. Dell Parsons et sa sœur Berner, des
jumeaux, grandissent dans le Montana entre leur père, Bev, un ancien de
l’armée, qui enchaîne les métiers, et leur mère Neeva, fille d’immigrés juifs
et jamais vraiment intégrée. Une famille, des silences, des espoirs, rien de
particulier à en dire. Si ce n’est que le père se lance dans un trafic
imprudent, contracte une grosse dette… et convainc sa femme de dévaliser une
banque pour se refaire. Mais ces Bonnie & Clyde version losers se ratent, sont
arrêtés, emprisonnés, la famille explose. C’est même la fin de cette famille.
Pour Dell, les parents « avaient franchi un mur, ou une frontière, et Berner
et moi, on était restés de l’autre côté. » Pour lui comme pour sa sœur,
l’avenir s’appelle désormais l’orphelinat. Mais personne ne se manifeste, ni la
police, ni les services sociaux. Alors, les jumeaux prennent la poudre
d’escampette, chacun de son côté : Berner fugue en direction de Detroit,
quand Dell, avec la complicité d’une amie de sa mère, s’enfuit au Canada, dans
le Saskatchewan.
Là, « enfant de la ville transplanté du jour au
lendemain dans un lieu désert inconnu », en pleine nature, il atterrit dans un monde
où règne la violence physique et morale. Un univers où dominent les figures de
l’imprévisible Arthur Remlinger, un américain au passé trouble, et de l’étrange
Charley Quarters. Dell va devenir employé à l’hôtel de Remlinger et aide à organiser
des chasses à l’oie. Et le sang ne va pas tarder à couler…
Dell, cet adolescent qui se passionnait pour le jeu
d’échecs, ses règles, ses stratégies, et pour les abeilles, cet accomplissement
de société et d’accord avec son milieu, va, tant bien que mal, affronter les
sables mouvants d’une réalité qui se dérobe en permanence. Heureusement, comme
sa mère aura l’occasion de le lui écrire, il possède une force : celle
« d’imaginer tout et le contraire de tout. »
Richard Ford trace avec à la fois une grande sobriété et
une infinité de détails le chemin de ce garçon qui saura se construire dans un environnement
où seul semble compter la force. Une atmosphère proche des tableaux d’Edward
Hopper, dans le silence et le drame de personnages esseulés et mélancoliques.
Où Richard Ford, par la voix de Dell Parsons, nous livre sa leçon de
sagesse : « Ce que je sais, c’est qu’on a plus de chances dans la
vie, plus de chances de survivre, quand on tolère bien la perte et le deuil et
qu’on réussit à ne pas devenir cynique pour autant ; quand on parvient à
hiérarchiser, […] à garder la juste mesure des choses, à assembler des éléments
disparates pour les intégrer en un tout où le bien ait sa place, même si,
avouons-le, le bien ne se laisse pas trouver facilement. On essaie, comme
disait ma sœur. On essaie. »
LIRE
« Canada », Richard Ford, éditions de l’Olivier, 478 p., 22,50 €.
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