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vendredi 26 octobre 2012

Claro, les mains dans l’acide


Insatiable jongleur de langue, Claro revient avec un roman, un étonnant « drogue, sexe et boulangerie », et deux traductions, non moins insensées.

Claro
Tout part d’un fait-divers réel, l’une des plus mystérieuses énigmes de l’après-guerre. A Pont-Saint-Esprit, le 16 août 1951, les gens se réveillent dans un drôle d’état, victimes d’effroyables hallucinations. Des morts, énormément de gens internés. Le coupable : quelque chose dans le pain vendu ce jour-là. On accusera une maladie du seigle, l’ergotisme. Puis on parlera de mercure. Et, récemment, de LSD, qui aurait été glissé là par la CIA…
Partant de ce réel et de ce probable, Claro se saisit d’Antoine, un mitron, victime aussi de ce « pain maudit », qu’on va retrouver à Paris en 1969 où, suite à un canular, il pénètre dans un sex-shop. Là, il rencontre Lucy, une ex-junkie américaine.
Le LSD est partout dans « Tous les diamants du ciel » (la référence au titre des Beatles, « Lucy in the sky with diamonds », est explicite). Mais, plutôt que d’écrire un roman « sur » la drogue, Claro nous convie à une expérience de lecteur (un « trip ») peu banal : son style lui-même se fait emporté, halluciné, saisissant, comme si nous étions plongés « dans » la drogue, promenés entre le vrai et le faux.
Claro, jongler avec la langue, il connaît, et avec quelle maestria. Quand ce n’est pas avec la sienne, c’est avec celle des auteurs américains les plus novateurs qu’inlassablement il nous fait découvrir. Ses dernières traductions en date sont signées Chuck Palahniuk et Viken Berberian.
Chez Palahniuk, la vedette de « Snuff », c'est Cassie Wright. Cette star du X sur le retour veut finir en beauté : un gang bang avec 600 mecs. Tout le roman se déroule dans le hangar où tous ces mâles numérotés au feutre indélébile font la queue (sic). Il y a 72, à peine sorti de l'adolescence, venu avec des fleurs et persuadé que Cassie est sa mère biologique. Et 600, un hardeur expérimenté, à l'origine de la venue de Cassie dans ce milieu. Et puis il y a Sheila, la régisseuse, celle qui supervise, qui a organisé, la seule autre femme parmi tous ces hommes. Bientôt, l'humour va laisser place à la profondeur des solitudes, des blessures de chacun. On oublie l’univers cru, « hot », on attend fébrilement que les masques tombent…
Chez Berberian, c’est un cycliste à l’article de la mort qui se raconte : son premier vélo à l’âge de 11 ans, son fatal accident d’entraînement non loin de chez lui, dans la montagne près de Beyrouth, son irrépressible goût pour les épices et les odeurs des plats du Moyen Orient, sa préparation de terroriste à l’attentat suicide. Au rythme d’une lente mais imparable remontée de peloton, le cycliste retrouve la vie, nourri de ses souvenirs gourmands et de la grandeur de sa mission : déposer son « bébé » - une bombe – à l’arrivée d’une course cycliste internationale. Mais dans cette course contre la montre, le combat entre l’orgueil et l’abnégation, puis le grain de sable, précipitent le cycliste là où il ne se voyait pas. « Le cycliste », à l’écriture acérée, balade le lecteur sur des terrains mouvants : la poésie de la gourmandise, l’inflexibilité du terroriste, l’émotion de l’homme, la cruauté du destin.
(avec Anne Vouaux)
LIRE « Tous les diamants du ciel », Claro, éditions Actes Sud, 256 p., 20 €.
« Snuff », Chuck Palahniuk, éd. Sonatine, 213 p. 16,50 €.
« Le cycliste », Viken Berberian, éd. du Diable Vauvert, 284 p., 20 €.

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