Alexandre Yersin : né le
22 septembre 1863 à Aubonne dans le Canton de Vaud et mort le
28 février 1943 à Nha Trang, en Indochine française. Yersinia
pestis : nom du bacille de la peste. Voilà en quoi la vie de ce personnage
se résume aujourd'hui. Une sorte d'illustre inconnu qui fait partie des proches
de Louis Pasteur, de la bande des pasteuriens, « la petite bande assemblée
autour de la science en personne, la redingote noire et le nœud papillon. La
petite bande qui s'en va pasteuriser le monde et le nettoyer de ses microbes.
Beaucoup sont des orphelins ou des apatrides qui se choisissent un père et du
coup une patrie. A côté de ça des casse-cou, des aventuriers, parce qu'il était
aussi dangereux à l'époque de s'approcher des maladies infectieuses que de
faire décoller un avion en bois. Une bande de solitaires. Les engueulades
brutales et les amitiés indéfectibles. Le groupuscule activiste de la
révolution microbienne."
Yersin a grandi auprès de sa
mère, entouré de femmes... ce qui le rendra méfiant vis à vis d'elles. Pasteur
sera auprès de lui une figure paternelle dont il saura s'éloigner sans pour
autant s'en détacher. Car Yersin est une sorte d'instable. A la fin de sa vie
il sera interrogé par deux scientifiques : « Alors il répond à leurs
questions. Comment il a découvert le bacille et a vaincu la peste. Quitté la
suisse pour l'Allemagne, l’Institut Pasteur pour les Messageries Maritimes, la
médecine pour l’ethnologie, celle-ci pour l'agriculture et l'arboriculture.
Comment il fut en Indochine un aventurier de la bactériologie, explorateur et
cartographe. Comment il parcourut pendant deux ans le pays des Moïs avant de
gagner celui des Sedangs. Les deux scientifiques l’interrogent sur ses lubies
et ses inventions, l'horticulture et l'élevage, la mécanique et la physique,
l’électricité et l'astronomie, l'aviation et la photographie. Comment il devint
le roi du caoutchouc et le roi du quinquina. Comment il rejoignit à pied depuis
Nha Trang le Mékong et Phnom Penh, pour finalement vivre cinquante ans dans ce
village au bord de la mer de Chine. »
Et c'est là toute la force du
nouveau roman de Patrick Deville. Plonger le lecteur dans une période où tout
bouge à grande vitesse, où le monde bascule dans les horreurs de la guerre, où
la France est à l'apogée de son empire colonial. Décrire ces mondes, des modes
de vie, des cultures. Ne jamais prendre partie, ce n'est pas le rôle de
l'auteur ici. Raconter, sans inventer. Patrick Deville réussit l'exploit de créer
un livre exigeant, érudit, et pourtant limpide, et même entraînant, poétique.
Mêlant les époques, il nous amène au cœur des évolutions de son personnage
central si complexe, lui qui refuse de suivre une voie et une seule. Ses
envies, son instinct, voilà son carburant.
Nous embarquons avec Yersin
comme a embarqué tant de fois dans sa vie. Ce n'est pas un roman, c'est une
promenade, une randonnée à travers le temps, les espaces, l'Histoire. Il faut
se laisser glisser sur les mots, arpenter cette lecture comme un (beau) voyage.
LIRE « Peste & Choléra », Patrick Deville, éd.
du Seuil, 220 p., 18,00 €.
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