Julie Otsuka |
Elles ont fait un grand voyage, la traversée du
Pacifique, ces milliers de Japonaises qui ont quitté leur pays au début
du XXè siècle pour épouser en Californie un homme qu’elles n’avaient pas choisi,
qu’elles connaissaient par quelques lettres et une photo, souvent mensongères.
Car, à l’arrivée, ce n’est pas une existence de soie et de roses qu’elles ont
découvert, mais un quasi-esclavage, aux champs, à la maison, au lit. Leurs
maris n’étaient pas des monstres, juste des compatriotes aussi déshérités
qu’elles, relégués dans la cale de l’American dream des années 20. Et quand,
après avoir survécu à tant de misère, d’accablement, de brimades, elles
relèvent la tête, font des enfants, envisagent un avenir, la guerre éclate. Le
Japon choisit l’Allemagne nazie, contre les Etats-Unis. La rumeur, puis les
autorités, désignent les immigrants japonais comme l’ennemi intérieur. Comme
ailleurs, le bouc émissaire va être brutalisé, mis à l’index, pillé. Et, bientôt,
déporté.
Julie Otsuka raconte à la manière d’un chœur antique cette
effroyable épopée. Comme si elle voulait ressusciter chacune de ces voix, qui
ont si peu parlé, qu’on a si peu écouté, toujours soumises, toujours dans
l’espoir, toujours à penser qu’en travaillant sans relâche elle finiraient par
toucher les étoiles. Par décrocher un sourire, un peu d’attention, une
identité. Mais non, les hommes n’aiment pas les innocents. C’est déchirant,
bouleversant, admirable.
LIRE « Certaines n’avaient jamais vu la mer », Julie
Otsuka, éditions Phébus, 144 p., 15 €.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire