
Et ça ne date pas d’hier : « Je suis enfant, dix
ans peut-être. Je rêve d’un livre, mélange de mots et d’images. Des bouts
d’aventure, des souvenirs ramassés, des sentences, des fantômes, des héros
oubliés, des arbres, la mer furieuse. » Les années passent, il entrevoit
le dessin comme porte d’évasion. Mais il claque la porte des Beaux-Arts, il s’y
ennuie.
Les années passent, les petits boulots s’enchaînent, dès l’âge
de quinze ans. Lui, le jeune homme aux « mains trop douces » se tue à
charger et livrer des carcasses de viande, à vider le fond des citernes à
mazout, à rénover une autoroute durant un été brûlant. Il songe de temps à
autre à son Manifeste, « état d’âme d’un solitaire, revanche abstraite
d’un chagrin d’amour, hurlement contre les idéologies, contre l’air du temps et
l’air qui passe ». Il se cherche un avenir à Paris, en Algérie, aux
Etats-Unis. Il tente de caser ses histoires, ses dessins : « Pas
assez commercial », la réponse ne varie pas.
Puis si, on va reconnaître son talent. Des éditeurs suisses,
les Presses Universitaires de France, Gallimard et, depuis quelques années,
farouchement à ses côtés, les éditions Noir sur blanc, lui donnent carte
blanche. Il anime la magnifique collection des « Cahiers dessinés ».
Chacun de ses romans graphiques est une splendeur mélancolique. Et aujourd’hui,
enfin, voici le premier volume de son Manifeste incertain. Des souvenirs
éparpillés, quelques pages sur Samuel
Beckett, un vagabondage autour des Esprits, deux jeunes fascistes à la fin des
années 80, et, comme l’évocation d’un frère, la figure de Walter Benjamin, le
philosophe « rêveur abîmé dans le paysage ». C’est limpide,
éblouissant de noirceur, « radieux ou désenchanté ». Unique.
LIRE « Manifeste incertain, 1 », Frédéric
Pajak, éditions Noir sur blanc, 191 p., 23 €.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire