Immense
talent que celui de l’auteur chinois Yan Lianke, qui se définit comme « le
fils irrespectueux du réalisme », aussi virtuose à manier la dérision que
l’émotion, jouant de sentiments contradictoires pour hypnotiser son lecteur,
qui reste pantelant, entre horreur et délectation, à la lecture de « Les
quatre livres ». Ces quatre livres, ce sont quatre regards pour dépeindre
la survie d’intellectuels envoyés dans un centre de « novéducation »
dans le Henan, sur les rives du Fleuve jaune, entre 1959 et 1961, à l’époque où
Mao voulait se faire aussi gros que le bœuf et exploser la production mondiale
d’acier. On sait ce qu’il advint : une famine entraînant 40 millions de
morts. Ici, les hommes sont placés sous l’autorité d’un enfant qui ne sait
qu’obéir aux ordres, sanctionner, récompenser, appeler à la délation. Caresser
pour mieux casser, broyer les ego de ses prisonniers. Comme dans ses précédents
écrits, dont le magistral « Les jours, les mois, les années », Yan
Lianke puise dans un sujet spécifique – ici, la persécution des intellectuels
chinois sous Mao - pour atteindre à l’universel.
Sorte
d’évangile au ton apocalyptique, le premier livre agite le châtiment des
hommes. Les deux autres, rédigés par l’écrivain du groupe de prisonniers,
décrivent la vie quotidienne des intellectuels, horrible de privations,
ponctuée d’espoirs et de compromissions. Le dernier, relecture du mythe de
Sisyphe, nous dit comment, quand l’homme a trouvé un sens à sa peine, il peut
supporter l’innommable. Car quand renaissent les sentiments, la vie retrouve un
sens même à l’absurdité la plus complète.
« Je ne
me considère pas comme un militant, je ne cherche pas le conflit, mais je veux
préserver ma liberté d’écrivain dans la description de l’authenticité de la
réalité. » Publié à Hong Kong, ce roman de Yan Lianke, auteur tantôt
acclamé par la critique chinoise, tantôt décrié, ne sera sans doute jamais
publié en Chine continentale. Grâce à ses mots, la
violence et la cruauté touchent au sublime. C’est violent, cruel, captivant.
Anne Vouaux
LIRE « Les quatre livres », Yan
Lianke, éd. Philippe Picquier, 411 p., 20,80 €.
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