Bambois. Un bout du monde au-dessus de Lapoutroie. Un corps
de ferme, un abreuvoir, un étang, des ânes, du linge qui sèche sur l’herbe, une
boîte aux lettres (oui, le facteur vient chaque jour jusqu’ici). Et la pente,
partout. Claudie et Francis Hunzinger apprivoisent ce lieu frontière entre la
nature et les hommes depuis près d’un demi-siècle. « Ce lieu, Francis a
tout de suite vu qu’il était beau, se souvient Claudie. Moi, je le trouvais
fonctionnel, que des prés, pas de haies, pas d’arbres. » Depuis, des
arbres ont grandi. Trop. « Nous ne cessons de lutter contre la forêt,
c’est un combat contre la nature qui est devenu un combat avec la nature, car
tu apprends à gérer sa force. »
Qu’est-ce qui a bien pu pousser le jeune couple à
s’aventurer là-haut ? Il y avait l’époque, ces années d’insouciance, de
libération, ces films qu’on allait voir, « L’Avventura »,
« Jules et Jim ». Il y avait Francis qui « voulait une vie de
poète, contemplative. » En plein exode rural, c’est donc l’installation à
Bambois en 1965. Claudie enseigne au lycée Bartholdi de Colmar, et fait presque
chaque jour l’aller-retour avec sa montagne. Leurs conditions de vie sont
rudimentaires, « mais ce n’était pas le camping, c’était plus exposé. Il
fallait travailler, faire les foins, dégager la neige, alors que nous étions de
grands enfants. On ne l’aurait jamais fait si nous avions été plus
prévoyants. On faisait la paire, Francis et moi, on a toujours privilégié
l’inutile. » Il y avait la fatigue, et sa récompense : « quand
l’hiver avait été horrible, ça signifiait pour nous qu’il avait été d’autant
plus magnifique. »
Les enfants naissent, Chloé en 1966, Robin en 1969 (qui est
à son tour installé en couple à Bambois). Il faut faire face à de nouvelles
contraintes. « Nous n’avions ni chasse-neige, ni 4x4, je ne sais pas ce que
j’aurais fait sans ma famille. Nous n’avions rien prévu. » Claudie
démissionne de l’Education nationale en 1972.
Bambois va devenir au fil des années le creuset de
l’imaginaire des Hunzinger. Claudie va transformer l’herbe en verbe. Elle, ce
qu’elle veut, c’est donner un nom à tout ce qui l’entoure, et créer un nouveau
langage en jouant de l’opposition sauvage/nature qui la passionne. « Ce
lieu, dit-elle, m’a permis la découverte de mondes différents. J’y ai trouvé la
possibilité de voyage, d’exploration en tous sens, sans bouger. »
Aujourd’hui, Claudie se partage entre son travail d’artiste,
ses « pages d’herbe » et l’écriture. Elle avait publié « Les
Enfants Grimm », un récit, à la fin des années 80. Puis plus rien.
« J’avais abandonné, je pensais que je n’y arriverais plus jamais. » Jusqu’à
ce que Robin lui demande de créer la voix-off du documentaire qu’il préparait
autour de la vie d’Emma et de Thérèse, qui tentèrent dans les années 30 et 40
de construire une existence engagée et amoureuse. Emma était la grand-mère de
Robin, la mère de Claudie. « J’écrivais un tombeau pour ces deux femmes,
il était hors de question que je les laisse. » Cette nécessité devient
alors un roman, « Elles vivaient d’espoir » (qui sort en poche, chez
J’ai lu, le 5 septembre). Le nouveau, « La Survivance », paraît le 3
septembre prochain. Un livre en guise d’« exercice de détachement »
de Bambois. Pour échapper à la terrible question : que va devenir ce lieu
quand je ne serais plus là ? Transmettre avant de tout laisser. Pour, encore
une fois, « fonctionner au désir, jamais au regret. »
Claudie Hunzinger, bio express
Si Claudie Hunzinger est née en 1940 à Turckheim, sa grande
date, c’est 1945. C’est en effet à l’école maternelle qui ouvrait alors à
Colmar qu’elle rencontre Francis. Ces deux-là ne se quitteront plus.
Claudie, après avoir préparé le professorat de dessin au
lycée Claude-Bernard de Paris, enseigne de 1965 à 1972 au lycée Bartholdi de
Colmar, avant de rejoindre Bambois à temps plein pour s’y consacrer à son
travail d’artiste. Son grand-père, instituteur, lui avait donné le goût des
plantes grâce à l’herbier qu’il tenait. De cet héritage, elle se fait
alchimiste, transformant l’herber en verbe. En 1973, elle fait paraître aux
éditions Stock « Bambois », le journal de bord de l’apprentissage de leur
vie verte.
En 2010, elle publie « Elles vivaient d’espoir »,
un vibrant hommage à Emma, sa mère, et à Thérèse, deux femmes qui ont
l’apprentissage douloureux de l’émancipation dans les années 30 et 40. Une
publication qui se double d’une rencontre avec l’éditrice Martine Boutang,
devenue la « grande petite sœur » de Claudie Hunzinger. Martine
Boutang qui la pousse à continuer : « Tu ne peux pas en rester
là. » La suite : « La Survivance », un nouveau roman qui
sort le 3 septembre aux éditions Grasset.
EN SAVOIR PLUS www.bambois.com
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