Jean-Marie Geng, l’Alsacien, l’universitaire polémiste, est devenu le
romancier Max Genève. Il revient sur ses années de jeunesse mulhousienne.
Nous sommes au 79 de la rue de Bâle, à égale distance du parc Salvator
et du canal du Rhône-au-Rhin. L’immeuble est toujours là, ce qui ne va pas de
soi. Max Genève se souvient de ses années d’enfance, quand il s’appelait encore
Jean-Marie Geng. « Une madame Fimbel habitait au premier étage. Maman
bavardait souvent avec elle dans l’escalier, le temps me paraissait long, je
tirais sur sa robe. Papa préférait bavarder avec une autre habitante de
l’immeuble, Lucienne S., danseuse étoile au ballet municipal. Trop jeune pour
lui, disait maman, pour se rassurer. Moi, j’avais peur de l’entrée de la cave
d’où émanait une odeur bizarre et où nous ne descendions jamais, je savais que
les morts ont leur demeure sous terre. »
Des fenêtres de l’appartement, la famille est aux premières loges pour
assister aux événements. Le matin du premier mai, de longues files de cyclistes
joyeux filent vers la Hardt pour cueillir du muguet. Le quatorze juillet, une
colonne de véhicules de pompiers, avec la grande échelle, conduite par le
colonel Ludmann dans son command-car rejoint, après un tour triomphal en ville,
le défilé des troupes place du Quatorze-Juillet.
C’est aussi par la rue de Bâle, mais dans l’autre sens, que tous les
ans, le cirque Pinder ou Amar entre dans Mulhouse. Là, encore, les souvenirs
sont vifs : « À cheval parmi les cavaliers du Far West, nous dévorions
des yeux le camion-lion transporteur de fauves. Clowns, jongleurs et
trapézistes nous épataient, mais la troupe des éléphants inspirait le
respect : une année, un pachyderme mauvais coucheur a troublé l’ordre public
en piétinant l’étal d’un épicier imprudemment resté ouvert, après avoir
englouti un plein cageot de laitues. » Et si l’année offre en plus un
passage du Tour de France, c’est le bonheur complet.
Le dimanche, il faut aller à la messe (voir ci-dessous). Le curé avait
remarqué que l’automobile concurrençait Dieu. Il organisait donc au printemps
une cérémonie de bénédiction des voitures. Après la messe, les véhicules,
briqués de frais, défilaient sous le goupillon. Max Genève sourit :
« Quand la télévision entra massivement dans les foyers – marque évidente
de concurrence déloyale –, Dieu jeta l’éponge. »
En 1955, il faut déménager. La famille s’est agrandie,
quatre enfants dans le trois pièces de la rue de Bâle, ça n’est plus possible.
Direction, le 6 allée Gabrielle-Koechlin, dans une petite barre alors flambant
neuve. Chanceux, Jean-Marie ne perd pas de vue ses copains puisqu’il reste à
l’École des frères… et, dit-il, « le plaisir du nouveau a vite compensé la
nostalgie de mon ancien quartier. » Il habitera allée Koechlin jusqu’au
bac… avant de se lancer dans des études universitaires à Strasbourg. Là, il
vivra au FEC pendant deux ans, puis dans diverses chambres de bonne
(« hélas sans la bonne »), notamment rue de Molsheim où, par absence
de chauffage, il devait dormir habillé.
Quand viendra l’heure de se
consacrer entièrement à la littérature, Max Genève quittera l’Alsace. Il vit
aujourd’hui entre Paris et Bordeaux.
Max Genève, bio express
« Je suis un homme de l’Est, et du sombre. » Voilà
comment se définit Max Genève, né Jean-Marie Geng à Mulhouse en 1945. Après avoir
grandi à Mulhouse, il poursuit des études universitaires à Strasbourg (maîtrise
de philo, doctorat de socio), avant d’y enseigner la sociologie pendant une
dizaine d'années. Il publie à cette époque quatre essais, tous polémiques et
salué par Barthes, Bourdieu ou Derrida, dont le plus connu est « Mauvaises
pensées d’un travailleur social ».
En 1980, il démissionne, quitte l’Alsace, décide de se
consacrer à la littérature et, pour marquer ce passage, choisit une nouvelle
identité : Max Genève. Après un court récit, « La Prise de
Genève », dans lequel il explique pourquoi il a changé de nom, puis un
recueil de nouvelles (« Notre
peur de chaque jour »), son premier roman, « Ma
nuit avec Miss Monde » paraît en 1981 aux éditions Stock. Depuis, il a
publié plus de vingt livres, alternant plusieurs veines : fantastique,
musicale et policière (dont les six de la série « Simon Rose »,
un enquêteur beau gosse dans l’esprit d’un Nestor Burma). Il fait aujourd’hui
son grand retour en littérature générale avec « Virtuoses » (éd.
Serge Safran).
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