Ce
pourrait être un cours d’histoire : un petit pays ballotté au gré des appétits
de ses voisins, occupé par les bolcheviks en juin 1940, « libéré » en
juillet 1941 par les nazis, de nouveau repris par les Soviétiques en octobre
1944. Ainsi en alla-t-il de l’Estonie, où la romancière finlandaise Sofi
Oksanen (en photo) situe l’action de « Quand les colombes disparurent », son
nouvel
opus sur l'histoire récente de ce pays, après « Les Vaches de Staline » (qui
vient de paraître en poche) et « Purge », roman qui avait
consacré son auteur dès sa sortie.
«
Je raconte une histoire que connaissent toutes les familles estoniennes. Comme
celle de ma mère », lâche Sofi Oksanen, qui s’empare ici de l’Histoire pour
dessiner tout en subtilité la schizophrénie générée par les régimes
totalitaires sur les peuples. En l’occurrence sur le jeune Roland, entré en résistance
contre tout type d’envahisseur ; son cousin Edgar – personnage inspiré
d’un écrivain qui rédigeait l'histoire officielle de l'Estonie selon les dogmes
édictés par le KGB – qui grenouille dans tous les services de renseignements,
passant des Rouges aux Bruns puis aux Rouges ; la belle Judith, épouse
malheureuse dudit Edgar, tombée amoureuse d’un haut-gradé allemand ; et la
cousine de celle-ci, Rosalie, la fiancée de Roland dont la disparition hante ce
roman.
Son
décor familial planté, se jouant de la chronologie entre 1941 et 1966, la
romancière se concentre sur Edgar, fil conducteur d’une histoire versatile,
être abject ouvert à toutes les trahisons, collaborateur mesquin rivé à la vie des
autres, poussé à faire le vide autour de lui afin de museler son passé
compromettant à plus d’un titre.
Toujours
aussi vibrante, l’écriture de Sofi Oksanen est d’autant plus acérée que l’auteur
se plaît souvent à suggérer seulement, laissant au lecteur la liberté de
construire ses propres images. Parfois, seule une évocation suffit. C’est
d’ailleurs ainsi que se termine le roman, et c’est glaçant. Virtuose aussi.
Anne
Vouaux
LIRE « Quand
les colombes disparurent », Sofi Oksanen, éditions Stock, 400 p., 21,50 €.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire