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vendredi 14 juin 2013

Les mauvais garçons ne meurent jamais



Hervé Guibert, c’est d’abord un choc. En mars 1990, beau comme un ange, séducteur, fragile, et des yeux de démon parfois, le jeune trentenaire encore inconnu du grand public fait sensation sur le plateau d’Apostrophes, l’émission littéraire animée par Bernard Pivot, en déballant au grand jour sa maladie, le sida. Il disparaitra quelques mois plus tard. Depuis, le « sale gosse » des lettres françaises est devenu un auteur culte. Deux livres en témoignent. D’abord, « Vice » publié pour la première fois l’année de sa disparition, en 1991, et oublié depuis : un inventaire aussi détaché que dérangeant où le corps entre en résonance avec la mort, la grande obsession de Guibert. Une litanie d’objets du quotidien (un peigne, un coton-tige, un martinet, des gants) ou quasi-fantasmatiques (le masque à éther, l’ourson-fiole). Puis un parcours à travers des lieux troubles, interlopes, troubles : un hammam, un cimetière d’enfants, le musée de l’École vétérinaire, et même là où on ne croyait pas : dans un magasin de laine ou un planétarium.
Hervé Guibert
De l’auteur du « Protocole compassionnel », sale gosse des lettres françaises, on découvre aussi un inédit, la seule correspondance dont il autorisa la publication, les « Lettres à Eugène ». Eugène comme Eugène Savitzkaya, autre écrivain né la même année que Guibert (1955), et ces deux-là se vouaient une admiration réciproque. Savitzkaya envoyait à Guibert des mots de quelques lignes, rarement, Guibert s’agaçait, s’inquiétait du silence qui s’écoulait entre ces lettres trop courtes, et en adressait de plus longues, énamourées, suppliantes, au « plus gentil des garçons ». C’est touchant, une curiosité.
Autre « bad boy » disparu des lettres françaises, Guillaume Dustan, mort le 3 octobre 2005 d’une embellie pulmonaire à l’âge de 39 ans. Les éditions P.O.L ont la formidable idée de réunir en trois tomes toute son œuvre, à savoir huit livres en dix ans. Le premier volume, qui vient de paraître, regroupe ses trois premiers romans, sa trilogie dite « autopornographique » (néologisme créé par Dustan dans « Génie divin »). Il explore alors trois « dimensions sexuelles » : celle de la sexualité quotidienne et domestique d'un homosexuel parisien des années 1980-1990 (« Dans ma chambre »), celle du « milieu » gay (« Je sors ce soir ») et celle du sadomasochisme (« Plus fort que moi »).
Il avouait pourtant qu’il lui avait été longtemps impossible d’écrire sur sa « vie de rat ». Un terrible déclic avait eu lieu : « Si j’ai pu écrire mon premier livre, c’est parce que je pensais que j’allais mourir. Dans un testament on est libre. On déshérite. J’ai déshérité mon père et tous les flics. J’ai dit que je me droguais et que je me faisais mettre. Les deux grands trucs politiquement incorrects. »
Guibert et Dustan cherchaient tous deux à dire l’amour (le désir, la faim, le sexe). Leur voix était confuse, inégale mais d’une honnêteté sans faille. Avec eux, la littérature française contemporaine était en mouvement. C’était déjà une grande chose.
LIRE « Vice », Hervé Guibert, éd. L’arbalète/Gallimard, 136 p., 16,90 €.
« Lettres à Eugène », Hervé Guibert, Eugène Savitzkaya, éd. Gallimard, 144 p., 15,90 €.
« Œuvres 1 », Guillaume Dustan, éd. P.O.L, 364 p., 18 €.

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