L’histoire sent bon sa légende, mais on ne s’en lasse
pas. Charles Bukowski, l’auteur des « Contes de la folie ordinaire »,
écumait dans les années 70 les salles de lecture de la Bibliothèque municipale
de Los Angeles, surtout pour dormir et s’abriter de la chaleur. Mais il lisait
aussi, jusqu’à tomber par pur hasard sur « Demande à la poussière »
(« Ask the dust » en VO) d’un parfait inconnu, John Fante. Et là,
c’est le choc : Bukowski se retrouve comme quelqu’un « qui a trouvé de
l’or à la décharge publique ». Comme le souligne Philippe Garnier, l’inlassable
découvreur de pépites en Californie (auteurs, acteurs, réalisateurs) et qui
amena Fante en France : on comprend « ce qui pouvait séduire
Bukowski : la même drôlerie sauvage, le même amour, le même poids des mots
sur la page. »
John Fante |
« Demande à la poussière » est l’un des
meilleurs livres de Fante, et les éditions Christian Bourgois ont l’excellente
idée de réunir en un volume ce roman avec deux autres de la saga
« Bandini » de John Fante. Arturo Bandini, l'alter ego de l'auteur, apparaît
pour la première fois dans « La Route de Los Angeles », successivement
comme terrassier, plongeur, débardeur, ouvrier dans une conserverie de
poissons, « où il essaie de faire épeler le mot Weltanschauung à un thon
de cinquante kilos ! » souligne Brice Matthieussent, le traducteur de
l’ouvrage. Un livre, certes autobiographique, mais si délirant que tous les
éditeurs le refusèrent. Écrit en 1936 (Fante avait alors 27 ans), il ne
paraîtra qu’en 1985. Pour « Bandini » et « Demande à la
poussière », les romans suivants, cela se passa mieux : fort de son
aura de scénariste à Hollywood, Fante décrocha un contrat d’édition, mais les
livres ne se vendirent pas.
Il fallut attendre la parution de ces romans en France
dans les années 80 pour que le succès soit au rendez-vous. On est emporté par
la cruauté, la tendresse de ces histoires. On voudrait éviter à Bandini les chagrins, les gaffes, les claques de
l'existence, de lui permettre de s'échapper de son univers pathétique (un père
maçon, alcoolique, violent ; une mère pieuse, victime, presque folle), ce type entre
deux eaux, « écartelé entre la tradition italienne et un désir forcené
d’intégration » comme le rappelle Matthieussent.
Dan Fante |
L’ironie du destin de John Fante voudra que ses
difficultés relationnelles avec Nick, sa brute de père, se répètent avec Dan,
son fils. Et Dan, comme John, s’éloignera de « l’enfer » familial.
Comme John, il vivra d’abord de mille petits boulots. Comme John, il règlera
ses comptes à travers l’écriture. Et, comme John, il apparaît dans ses romans à
travers un alter ego, Bruno Dante. Les éditions 13e note s’attachent
à rendre disponible en 2013 l’intégralité de l’œuvre de Dan Fante. On pourra s’initier
à ces textes rageurs et tragi-comiques avec « En crachant du haut des
buildings », où l’on voit Bruno Dante débarquer à New York pour tenter de
s’affranchir de l’ombre du père Fante. Entre alcoolisme, jobs sans lendemain et
aventures sexuelles, comment devient-on à son tour un grand écrivain ?
LIRE
« Romans 1 : La Route de Los Angeles, Bandini, Demande à la
poussière », John Fante, Christian Bourgois éditeur, 750 p., 22 €. « En crachant du haut des buildings », Dan
Fante, 13 e note éditions, 208 p., 9,50 €.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire