Les années 80. Un vent de liberté, de folie, le punk. Mais aussi : la drogue, la fin des utopies, de l’innocence. Qui nous valent de superbes livres.
Anne Berest |
C’est un roman en forme d’escargot. Un récit en cercles concentriques.
On tourne autour du pot, lentement, et de plus en plus près. Ça ne fait pas
l’affaire de Denise, la narratrice. Elle, elle veut aller vite, droit devant,
pour connaître la vérité sur son père, Patrice Maisse, une étoile filante du
cinéma français. Savoir, surtout, ce qui s’est passé entre mars et Noël de
l’année 1985 quand papa est parti « en voyage ».
Personne ne veut lui en parler. Ni Matilda, sa mère. Ni ce
Paul-Antoine, rencontré sur l’île de Porquerolles, un bavard invétéré… qui
s’était fermé à double tour à l’évocation de 1985. A 22 ans, Denise devrait s’y
faire : s’accommoder des silences, laisser les fantômes où ils sont. Mais
elle n’y parvient pas et jette son dévolu sur un certain Gérard Rambert, expert
en art, qui a bien connu son père. Commence un étrange jeu du chat et de la
souris. Pervers en diable, Rambert est manipulateur, hâbleur, retors, mais il
est peut-être prêt, lui, à dévoiler ce qui ne doit pas être…
Anne Berest jongle ainsi avec les nerfs de son héroïne comme
avec les nôtres (elle nous met KO page 216… et il en reste encore 100,
formidables, à lire). Digressions, fausses pistes, elle tisse une toile étrange,
et pourtant, tout s’assemble, tout fait sens. D’apprendre par exemple
qu’Abraham Rosenberg, né à Strasbourg, avait attendu 1963 pour prendre le nom
de Rambert, ça nous dit quoi ? Que cela avait changé beaucoup de choses
pour Gérard, son fils, 10 ans à l’époque : qu’il n’y aurait plus « de
sale Juif » quotidien dans la cour de l’école. Cette humiliation-là, qui
rend fort aussi, qui nous détache du lot aussi, on la retrouvera ailleurs dans
le roman : quand le lien sera fait entre Gérard et Patrice Maisse. Ils ont
séjourné ensemble chez « Le Patriarche », cette association créée en
1972 par Lucien Engelmajer, et qui au nom de la lutte contre la toxicomanie
broiera tant de vies (même s’il en sauvera d’autres). Un séjour effroyable. Anne
Berest ne juge pas. N’empêche : ces pages-là forment un réquisitoire
implacable.
Yves Tenret, en ses "folles années" |
« Funky boy » d’Yves Tenret pourrait être la
lecture complémentaire d’Anne Berest. Celle-ci nous donne à lire les
conséquences de la folie, dans ses beaux et ses atroces aspects, qui anima la
génération des années 70 et 80. Yves Tenret nous plonge au cœur de cette
démence. Comme le dit l’un de ses personnages : « Je voulais être
l’émeute par elle-même. […] Je voulais inventer de nouveaux sentiments
comparables en puissance à la haine et à l’amour. […] Je voulais faire la
guerre de la liberté avec générosité et colère. » Le programme imparable des
indomptables.
Dans ce collage de textes rythmé par des photomatons
improbables, le « rien n’est sérieux » (no future ?) fraternise
avec le « je vous prends de haut » (rebel ! rebel !), la
posture défie la sincérité. Lire, fumer, déconner, vivre, « hurler,
pourquoi ? ». Comme dans ses précédents ouvrages, Yves Tenret se
présente en iconoclaste invétéré mais vertébré. Quand on l’aura fiché dans une
case, il sera content : il s’en sera déjà évadé. « Le paradis sur
terre sinon rien ». Sinon l’enfer ?
LIRE « Les Patriarches », Anne Berest,
éditions Grasset, 320 p., 19 €.
« Funky boy », Yves Tenret, médiapopéditions, 112
p., 12 €.
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