Février 1942, au Brésil, on retrouve les corps enlacés de Stefan et Lotte Zweig, suicidés. Un amour infini, que l’on retrouve dans leurs lettres.
Stefan Zweig |
« Stefan Zweig se tua le premier. Il s’empoisonna sur
le lit, tourné vers le plafond, et agonisa les mains croisées. [Il] était déjà
mort avant que Lotte ne se suicide. Elle l’enlaça de sa main gauche, allongée à
sa droite. » Nous étions le 23 février 1942, à Petrópolis, au Brésil, à
une cinquantaine de kilomètres de Rio de Janeiro. Le suicide de Stefan Zweig
fit l’effet d’une bombe : on se demandait comment un écrivain aussi
reconnu, aussi célébré que l’auteur d’« Amok », de « Vingt-quatre
heures de la vie d’une femme » ou du « Joueur d’échecs », avait
pu en arriver là, lui qui « avait l’air si fort, si solide » (d’après
l’écrivain français Romain Rolland), lui « qui aimait tellement la
vie… » (dixit Klaus Mann, le fils de Thomas Mann).
On imaginait que Stefan et Lotte Zweig vivaient au paradis.
Dès leur installation en septembre 1941 à Petrópolis, Stefan avait écrit à sa
première femme, Fridrike : « aussi primitif que cela puisse être ici,
j’y serai libéré des hôtels et n’aurai plus à m’occuper des valises. »
Car, depuis qu’il avait quitté l’Autriche en 1933, fuyant le nazisme, Stefan,
bientôt accompagné de sa nouvelle épouse Lotte (qu’il avait rencontré en 1934 quand
elle fut embauchée à Londres pour être son assistante), n’avait plus jamais
cessé de voyager. Amérique du Sud, Etats-Unis, Angleterre, Stefan Zweig était
accueilli partout en vedette, mais il ne se sentait chez lui nulle part,
« je n’appartiens à aucun lieu et je suis un étranger partout »
écrira-t-il.
Petrópolis aurait du être leur refuge, un lieu de paix et de
tranquillité. Le Brésil était alors une destination très courue par les
immigrants et réfugiés juifs, et la plupart s’intégreront vite à la société
brésilienne. Pour les époux Zweig, ce ne sera pas le cas : ils vont se
sentir coupables de vivre dans un environnement idyllique quand tant de leurs
amis souffrent de la guerre. Le climat non plus ne leur est pas favorable, la
pluie accable Lotte à cause de son asthme, la chaleur les empêche de
travailler. Et, comme l’analysent Darien J. Davis et Olivier Marshall en
introduction des « Lettres d’Amérique » aujourd’hui publiées :
« des tensions psychologiques se retrouvent dans toutes les lettres de Petrópolis
: entre l’ancien et le nouveau, ce qui a été perdu et ce qui a été découvert,
le pessimisme et l’optimisme. Au fil des lettres, le sentiment d’isolement et
le désespoir s’intensifient. » Bientôt, Stefan n’aura plus la force
d’espérer la chute d’Hitler. La dépression, une vieille connaissance, aura pris
le dessus.
On a longtemps pensé – c’est la thèse de la plupart des
biographes de Zweig – que Lotte fut une épouse effacée, quasi-muette. Les
lettres d’Amérique montrent au contraire une femme, certes très affectée par sa
santé fragile et par les « ténèbres » qui assaillent son mari,
mais bien présente. La main dans la main avec Stefan, à la vie à la mort.
L’avant-veille de leur suicide, Stefan écrit à son beau-frère, le frère de
Lotte : « nous avons décidé, unis dans notre amour,
de ne pas nous quitter. » Le même jour, Lotte écrit à sa belle-sœur :
« Croyez-moi, c’est mieux ainsi. » Paroles d’une épouse amoureuse, digne,
décidée.
LIRE « Lettres d’Amérique », Stefan et
Lotte Zweig, éditions Grasset, 304 p., 22 €.
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