Septembre 1981. En plein état de grâce du nouveau pouvoir
socialiste, un roman fait fureur, « La Bicyclette bleue » de Régine
Deforges. Le roman s’inscrit dans une collection où l’éditeur, Jean-Pierre
Ramsay, demande à des écrivains de s’inspirer de chefs-d’œuvre du passé pour
écrire un nouveau livre. Il a proposé « Autant en emporte le vent » de
Margaret Mitchell à Régine Deforges, qui décide de situer l’action de sa très
libre adaptation durant la Seconde Guerre mondiale. Quand elle rend le
manuscrit, l’éditeur fait la grimace : il avait prévu un seul tome, la
romancière lui en annonce trois. Des millions d’exemplaires plus tard, les
aventures de Léa et François s’étireront au final sur dix volumes.
Une aventure exceptionnelle qui n’est que l’un des
épisodes de l’existence tumultueuse et tourmentée de Régine Deforges. Une femme
incroyable qu’on aura humiliée (voir ci-dessous l’affaire du cahier volé), mise
à terre… et qui, à chaque fois, aura trouvé les ressources pour se relever.
Pour repartir, parfois de zéro. Pour inventer quelque chose de nouveau (on
songe à son best-seller sur le point de croix… et que les dirigeants de DMC
Mulhouse avaient refusé de soutenir !), au risque de multiplier les échecs
et les banqueroutes. Qu’importe : l’important, pour elle, ce sont les
rencontres, les voyages, l’ivresse des sens, les passions en tous genres.
Régine Deforges |
Une vie de flambeuse flamboyante qui ressemble à un cri lancé
à la figure des habitants de Montmorillon, dans le Poitou, où elle est née en
1935, mais qu’on prendrait à tort pour une revanche contre ces gens-là (après
tout, elle est revenue à Montmorillon pour y créer un salon et une Cité du
livre). Non, c’est un cri de révolte général contre les bien-pensants de tous
ordres, contre les soi-disant bonnes mœurs, contre les censeurs de tout poil.
Et tant pis si elle choque.
À 18 ans, à Conakry, où son père a été muté, elle épouse
son premier mari, un assureur, qu’elle trompe allègrement aussi bien avec des
hommes que des femmes. De retour en France elle butine d’un cours de théâtre à
la naissance de son premier enfant, en passant par du mannequinat chez Louis
Féraud, avant de s’improviser représentante pour l’éditeur Jean-Jacques
Pauvert, un esprit libre de l’édition, qui n’hésite pas à publier le marquis de
Sade. Avec son aide, Régine créée sa propre maison, L’Or du temps, dont les
publications sulfureuses font qu’elle est bientôt baptisée « la papesse de
l’érotisme ». Les convocations au tribunal et les saisies pleuvent. Ça la
stimule. Elle se retrouvera même privée de ses droits civiques.
Bientôt mariée au prince Pierre Wiazemsky, alias Wiaz
(oui, le dessinateur), elle se fait davantage auteur qu’éditeur, toujours avec
des convictions : « François Mauriac a dit : « Il y a deux
types d’écrivains : ceux qui se mouillent jusqu’à la taille et ceux qui se
mouillent jusqu’au cou. » J’espère être de cette dernière
catégorie. » Pour autant, à 78 ans, elle doute toujours. Elle si combative
a toujours « l’impression d’être constamment en retrait, de participer à
la pièce en spectateur. » Qu’on la rassure : ses Mémoires démontrent
exactement le contraire !
LIRE
« L’enfant du 15 août, mémoires », Régine Deforges, éd. Robert
Laffont, 480 p., 22 €.
Et aussi… Le cahier volé
Montmorillon, après la guerre. Deux jeunes filles sont
amies, elles ont seize ans, l’une est rousse, d’une sensualité sauvage, c’est
Régine. Régine Deforges. L’autre est blonde, androgyne, c’est Manon. Dans la
chambre de Manon, les jeux interdits remplacent bientôt les jeux de société. Manon,
qui reste habillée, aime caresser Régine, nue. Un garçon, jaloux ou tristement
stupide, tombe sur un cahier intime de Régine, dans lequel elle raconte toutes
ses journées. Tous les détails. Il le remet à ses parents… et à un abbé. De fil
en aiguille, les filles sont convoquées à la gendarmerie, Régine est renvoyée
de l’institution religieuse où elle étudiait. Pas Manon, scolarisée dans le
public et issue de la bourgeoisie locale. On obligera Régine à brûler tous ses
cahiers, en présence du garçon qui avait déclenché toute l’affaire. Elle sera
insultée, agressée dans la rue. Pendant des années, ce traumatisme l’empêchera
d’écrire. Mais il fera d’elle une révoltée, indifférente au qu’en dira-t-on, un
seul mot d’ordre aux lèvres : « Qu’ils aillent se faire
voir ! »
LIRE
« Les Filles du cahier volé », Régine Deforges, Manon Abauzit,
entretiens et photographies par Leonardo Marcos, éd. de la Différence, 144 p.,
18 €.
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