Anna a été agressée, violée, assassinée alors qu’elle
faisait son jogging. C’est allé très vite : « Anna se débat au
hasard, sa douleur cabotine quelques secondes, puis son cœur s’étouffe, pas le
temps de pleurer car, bien vite, elle sait que tout ce qui vit ne l’aimera
plus. » Elle avait quarante ans. Vivait seule. Elle venait de rencontrer
quelqu’un. Son existence était sur le point de basculer vers le grand large. Au
lieu de ça…
Sylvie Aymard |
Il est temps de raconter Anna. Un roman familial bancal,
avec son lot de drames et de silences. Du banal, mais fichtrement bien raconté,
et écrit, par Sylvie Aymard, styliste hors pair, qui s’y connaît en formules
qui déshabillent d’un coup ses personnages. Les parents d’Anna ont été
restaurateurs, et sont aujourd’hui épiciers. Sa mère ignore le don, la
tendresse : elle l’appelle la duchesse. Son père ne fait pas le poids face
à cet iceberg, il est lâche, il est muet. Il est bon, sûrement, mais on ne le
sait pas. Anna a eu deux frères. Le premier, Noé, est mort noyé alors qu’elle
en avait la garde. La duchesse ne l’a pas supporté, Anna a été exilée à Paris
chez Luce, une cousine, libre et étrange. Une chance. Le second, Edgar, onze
ans de moins qu’Anna, a grandi dans les jupes de la duchesse, un vrai carcan.
Majeur, il s’est dépêché aussi de monter à Paris. « Timide, très pâle, il
semble sortir d’un bain moussant ». Et il se consume d’adoration pour sa
grande sœur. Morte, à présent.
Ainsi vont et s’en vont les âmes humaines, entre les
décisions à prendre et les accidents d’une vie. Sylvie Aymard en fait un
formidable roman, tout en nuances et en cruauté. Emmanuèle Bernheim a, quant à
elle, opté pour le récit autobiographique. Son père, forte tête s’il en est, a
été victime d’un AVC. Il s’en remet, difficilement. Il a déjà survécu à pas mal
de secousses, mais là, à 88 ans, il décide que c’est en trop. Il veut – car
c’est le genre d’homme à exiger – que ses filles, Emmanuèle et Pascale l’aident
à en finir. Euthanasie, le mot n’est pas lâché, mais c’est tout comme. Papa est
décidé, rien de le fera changer d’avis. Ses filles, évidemment, ne sont pas
prêtes à ça. Même si « ça » (entendre leur père parler de suicide)
n’est pas nouveau (voir l’extrait ci-dessous).
Emmanuèle Bernheim |
Emmanuèle et Pascale sont brusquement précipitées sur le
pont d’un navire qui chavire. Qui coule, et elles se raccrochent à ce qu’elles
peuvent. Les bouées de sauvetage sont les bras d’un amoureux, les paroles d’un
ami, les pilules qui aident à mettre un pied devant l’autre ou à dormir. Il y a
aussi cette dame qui vient de Suisse, car c’est là que c’est possible, c’est à
Berne que leur père va s’en aller en douceur et pour toujours, cette dame qui
parle si tranquillement de la mort, qui leur assure que « tout va bien se
passer ».
On lit ces pages comme on ne devrait pas, comme la morale
bien-pensante voudrait nous interdire de le faire : comme un roman
d’aventures. Les rebondissements sont parfois si inattendus que la tragédie
nous amène à sourire. Même la fin ne sera pas de tout repos. Mais là, les
larmes seront de la partie.
LIRE
« C’est une occupation sans fin que d’être vivant », Sylvie Aymard,
éditions Grasset, 180 p., 14,80 €.
« Tout s’est bien passé », Emmanuèle Bernheim,
éditions Gallimard, 208 p., 17,90 €.
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