Erri de Luca réécrit les Dix Commandements dans sa
merveilleuse langue, tandis que Frédéric Lenoir nous emmène au Tibet pour une
leçon de tolérance.
L’homme guidait tout un peuple, mais il avait disparu. Il
était parti, seul, à la conquête d’une montagne. Il voulait atteindre le
sommet, ce « bord de frontière entre le fini et l’immense. » On
l’avait cru perdu. C’est un vagabond qu’on avait retrouvé au bout de cinq, six
semaines, épuisé, presque un corps mort. « Quand il respirait, la friction
de l’air avait un raclement de rabot. » Il revient à la vie, lentement,
posant inlassablement la même question : « Qui suis-je ? »
Il voudrait se souvenir. Il ne semble avoir rien retenu de
ce qu’il a appris dans la montagne. Bientôt, il parvient à s’asseoir, puis à se
lever. Et c’est en entendant son frère épeler le chiffre « Un » que
la mémoire lui revient. Le miracle se produit : tournant le dos à la
foule, il prononce un mot (« Anokhi », moi) face à une muraille… et « le
mot prononcé sortait écrit sur le rocher » ! Le vagabond était Dieu,
et son peuple apprit « au pied du Sinaï que l’écoute est une citerne dans
laquelle se déverse une eau du ciel de paroles scandées à gouttes de
syllabes. »
Car le guide va engager ses « troupes » pour les
générations suivantes. « Il les fit être des témoins pour le monde. »
Il va les exhorter à appliquer ses Dix Commandements, ce Décalogue que le
romancier Erri De Luca, dans sa merveilleuse langue limpide et audacieuse,
reprend aujourd’hui, réécrivant, plus lyrique que jamais, ce « voyage du
judaïsme » qu’il partage, et nous transmet. « Et tu
aimeras » : telle était la dernière et juste consigne. Elle les
résumait toutes. »
Autre leçon de tolérance plongeant dans la connaissance des
textes sacrés, « L’âme du monde » de Frédéric Lenoir, encore une fois
un modèle de pédagogie après son « Petit traité de vie intérieure ». « Par
des voies mystérieuses », huit sages représentant les principaux courants
spirituels du monde se retrouvent au monastère de Toulanka, au Tibet. Là,
« une femme chamane, une philosophe européenne, une mystique hindoue, un
maître taoïste chinois, un rabbin kabbaliste juif, un moine chrétien, un maître
soufi musulman, sans oublier bien sûr un moine bouddhiste » sont venus
enseigner au jeune Tenzin (et son amie Natina, l’adolescente de fille de la
philosophe) les clés de la sagesse universelle.
Usant de paraboles et de contes, les grands anciens vont,
sept jours durant, transmettre aux jeunes gens les clés des questions essentielles :
le sens de la vie, ce que signifie réussir sa vie et être heureux, comment
apprendre à se connaître et à se réaliser, etc. Et chacun repartira chez lui,
juste avant que l’obscurité ne se fasse sur la planète, permettant au passage à
Frédéric Lenoir de rappeler que « par sa convoitise sans limites, l’homme
est en train de piller et de dérégler l’harmonie qui gouverne le monde. En
abîmant la terre, c’est lui-même qu’il condamne. »
LIRE « Et il dit », Erri De Luca, éditions
Gallimard, 106 p., 11 €. Du même auteur, un extraordinaire recueil de poèmes,
en version bilingue, « Aller simple » (éd. Gallimard, 174 p., 16,50
€).
« L’âme du monde », Frédéric Lenoir, NiL éditions,
202 p., 18 €.
A signaler également le très fin et réjouissant « Petit
guide des religions l’usage des mécréants » de l’Anglais Alain de Botton
(éd. Flammarion, 328 p., 20 €).